ANNEXE
Beatissime Pater,
Licet terreat me Apostolici Culminis Majestas, attamen non amplius desiderium et totum cordis mei votum valeo cohibere. Audebo igitur, filiorum minimus et ultimus, orbis Parentem affari, eique jam a pluribus annis concepta, Magnorumque virorum aucta suffragio, humili mente aperire.
Duo sunt, Beatissime Pater, Ecclesiæ Christi cujus Caput divina clementia effectus es, permaxime necessaria, et sine quibus velut utroque lumine orbæ, non est ei species neque decor ; monasticæ vitæ, professio scilicet, et ecclesiasticarum scientiarum cultus. Luget, eheu, quadraginta abhinc annis impie depopulata, Ecclesia Gallicana cui vix, a tanto tempore, umbram institutionum monasticarum, rarissimis in locis et quasi furtim conspicere datum est ; luget et non vult consolari, illa quæ olim apud exteras gentes incomparabilis doctrinæ habebatur, nunc autem, multis de causis et doctrina et doctis miserrime destituta. Interim grande animarum exitium quærentium solitudinem in qua Deus ad cor loquitur et non invenientium ; necnon ingens sacerdotii nostri dedecus, ob veterum traditionum, sanique juris oblivionem, ob exilem doctrinam junioribus clericis suppeditatam, eo quod jam non sint qui ingratis difficillimisque studiis incumbere curent. Undique jam a pluribus annis clamor desolatus exsurgit ; omnes tantam malorum abyssum norunt, confitenturque. Nullus est, fere nullus, qui de utriusque plagæ remedio, efficaci modo, recogitaverit. Plures attamen sacerdotes postquam ingemuissent coram Deo qui consolatur omnes ruinas Isræl propria infirmitate non fracti, plurimumque confidentes in Domino, eo usque audaciæ devenerunt ut censerent se non penitus Ecclesiæ Dei inutiles fore, si pro tantis malis præcidendis, et impederent sua, et se ipsos superimpenderent. Hi sunt, Beatissime Pater, qui mihi fide generosa adhæserunt, et quorum vox, nunc apostolatus tui concutit aures. Hæc quidem sibi exequenda proponunt. Occidentalium Monachorum patriarchæ Beati Benedicti regulam amplectentes ; veterem monasticam disciplinam instaurare ; præhabito propriæ perfectionis studio, scientiæ ecclesiasticæ totis viribus incumbere, sacris litteris, catholicis traditionibus, pontificioque juri totam vitam impendendo ; uno verbo, clarissimæ congregationis Sancti Mauri premere vestigia, humili certe gressu, sed forte feliciori. Longe enim abierunt a nobis deploranda illa adversaque apostolicæ dignitati et potentiæ systemata, sæpissime eximiis aliunde operibus, infauste permixta. Jam nobis non sunt Alpes ; et nos Romani sumus, Romanam in omnibus doctrinam propugnare parati.
Itaque, Beatissime Pater, ego hodie, nomine proprio, sociorumque personam gerens, quæso Sanctitatem tuam quatenus dignetur ad nos respicere, rem tanti momenti considerare, filiosque quid agere debeant edocere. Memineris, Beatissime Pater, te quoque Beati Benedicti discipulum, et proinde augendæ Sancti Patriarchæ familiæ studiosum. Numerosi coetus affulget nobis spes fundatissimam ; huic arridere digneris, et nulla novos Benedictinos terrere poterunt.
Illud, Beatissime Pater, humillimi postulo ut mihi supplicanti Sanctitas Vestra velit consilium cordis sui, super hoc notum facere, testorque me paratum ad obediendum in omnibus, sive carissimum opus derelinquere oporteret, sive, ut spero, ad illud exequendum satagendum esse judices.
Quod si invenerit gratiam coram oculis tuis illa ordinis Sancti Benedicti instauratio, dignare, Beatissime Pater, ordinarium nostrum, Episcopum videlicet Cenomanensem, certiorem facere, Sanctitati Tuæ nostrum gratum esse propositum. Illud enim Apostolicum testimonium reverenter suscipiet eximius Præsul, et quodam modo expectat, cum scilicet mihi dixerit se nobis propitium fore, si nobis propitia fuerit apostolica sedes.
Tunc ad Romanam Ecclesiam citissimi mittemus, canonicam confirmationem exspectantes, statuta specialia quibus regulam Sancti Patriarchæ Benedicti ad scopum nostrum aptabimus, et ea quæ a constitutionibus Apostolicis ordinata sunt circa regularium domorum erectionem ad unum verbum adimplebimus. Sed prius nobis a te dicendum est, Beatissime Pater, an existere, quam quomodo debeamus.
Pusillo gregi benedictionem Apostolicam digneris tandem impertiri cujus nomine, nec non pro seipso, tam pretiosum pignus efflagitat, Beatissime Pater, Sanctitatis tuæ.
Humillimus devotissimus obedientissimus servus et in Christo filius,
Prosper Guéranger, presbyter ; Canonicus honorarius Ecclesiæ cathedralis Sancti Juliani Cenomanensis in Gallia.
Cenomani in Gallia die 18 januarii 1832.
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Très Saint-Père,
Bien que je sois rempli de crainte devant la Majesté de la Grandeur Apostolique, je ne peux plus contenir le désir et tout le vœu de mon cœur. J’oserai donc, moi le plus petit et le dernier des fils, m’adresser au Père de l’univers et lui manifester humblement des idées conçues déjà depuis plusieurs années et approuvées par des hommes éminents.
Très Saint-Père, à l’Église du Christ, dont vous avez été constitué le Chef par la divine clémence, deux choses sont absolument nécessaires ; sans elles, comme privée d’une double lumière, elle n’a plus ni beauté ni éclat : ces deux choses sont la profession de la vie monastique et le culte des sciences ecclésiastiques. Hélas, dévastée d’une manière impie depuis quarante ans, l’Église de France pleure : depuis si longtemps, il lui a été donné à peine de voir, dans de très rares endroits et comme à la dérobée, une ombre des institutions monastiques ; elle pleure et ne veut pas être consolée, elle qui autrefois avait la réputation d’une doctrine incomparable auprès des autres nations, mais qui maintenant, pour de multiples raisons, est misérablement privée de doctrine et de docteurs.
De là vient un immense détriment pour les âmes qui recherchent la solitude où Dieu parle au cœur et ne la trouvent pas. De là aussi une grande honte pour notre sacerdoce à cause de l’oubli des anciennes traditions et du droit juste, à cause de la maigre doctrine dispensée aux jeunes clercs, puisque manquent maintenant des hommes soucieux de se livrer à des études ingrates et très difficiles. De toute part, depuis plusieurs années, s’élève un cri de désolation ; tous connaissent et reconnaissent un si grand abîme de maux. Mais personne, ou presque personne, n’a pensé d’une manière efficace au remède à apporter à l’une et à l’autre plaie.
Cependant plusieurs prêtres, après avoir gémi devant Dieu qui console et répare toutes les ruines d’Israël, sans être abattus par leur propre faiblesse et se confiant le plus possible dans le Seigneur, en sont venus à cette audace de penser qu’ils ne seraient pas tout à fait inutiles à l’Église si, pour retrancher de si grands maux, ils consacraient leurs biens et, encore plus, se consacraient eux-mêmes. Ce sont eux, Très Saint-Père, qui se sont attachés à moi avec une foi généreuse et dont la voix retentit maintenant aux oreilles de votre autorité apostolique. Voici ce qu’ils se proposent de réaliser : embrassant la Règle du Bienheureux Benoît, le patriarche des moines d’Occident, restaurer l’antique discipline monastique ; mettant en tout premier lieu le souci de leur propre perfection, se livrer de toutes leurs forces à la science ecclésiastique, consacrant leur vie entière à l’étude des saintes Lettres, des traditions catholiques et du droit pontifical, en un mot, suivre les traces de la très illustre Congrégation de Saint-Maur, d’un pas humble certes, mais peut-être plus heureux. En effet ils seront bien éloignés de nous, ces systèmes déplorables et opposés à la dignité et à la puissance apostoliques, qui sont malheureusement mêlés à des œuvres par ailleurs le plus souvent remarquables. Désormais il n’y a plus d’Alpes pour nous, et nous sommes Romains, prêts à lutter pour la doctrine Romaine en tout domaine.
C’est pourquoi, Très Saint-Père, aujourd’hui, en mon nom propre et tenant la place de mes compagnons, je demande à Votre Sainteté de daigner jeter un regard sur nous, de considérer l’importance d’un tel moment et d’expliquer à ses fils ce qu’ils doivent faire. Souvenez-vous, Très Saint-Père, que vous êtes vous-même disciple de saint Benoît et donc soucieux d’accroître la famille du Saint Patriarche. L’espoir très fondé d’un groupe nombreux brille pour nous ; daignez lui sourire et rien ne pourra effrayer les nouveaux Bénédictins.
Très Saint-Père, je demande très humblement ceci : qu’à votre suppliant, Votre Sainteté veuille bien faire connaître sur tout cela la pensée de son cœur, et j’atteste que je suis prêt à obéir en tout, soit qu’il faille renoncer à une entreprise très chère, soit que vous jugiez, comme je l’espère, qu’il faut s’efforcer de la réaliser.
Si cette restauration de l’Ordre de Saint Benoît trouve grâce à vos yeux, daignez, Très Saint-Père, faire savoir à notre Ordinaire, l’évêque du Mans, que notre projet est agréable à Votre Sainteté. L’excellent évêque accueillera avec respect ce témoignage Apostolique ; d’une certaine manière il l’attend, puisqu’il m’a dit qu’il nous serait favorable, si le Siège Apostolique nous était favorable.
Nous enverrons alors très rapidement à l’Église Romaine, pour en attendre la confirmation canonique, les statuts particuliers par lesquels nous adapterons la Règle du Saint Patriarche Benoît à notre but, et nous remplirons à la lettre ce qui est ordonné par les Constitutions Apostoliques pour l’érection des maisons régulières. Mais il faut d’abord que nous soit dit par vous, Très Saint-Père, si nous devons exister, puis comment.
Daignez enfin accorder, Très Saint-Père, une bénédiction Apostolique au petit troupeau au nom duquel, en même temps que pour lui-même, demande avec instance ce gage si précieux
de Votre Sainteté le très humble, très dévoué, très obéissant serviteur et fils dans le Christ,
Prosper Guéranger, prêtre, Chanoine honoraire de l’église cathédrale Saint-Julien du Mans, en France.
Le Mans en France, le 18 janvier 1832
BIBLIOGRAPHIE
Biographies
Dom Louis Soltner, Solesmes et Dom Guéranger, Solesmes, 1974.
Dom Guéranger, abbé de Solesmes, coll. « Dieu est amour », 164-165, Solesmes-Téqui, 1995.
Écrits de Dom Guéranger
Dom Guéranger, Les dons du Saint-Esprit, Solesmes, 2002.
Dom Guéranger, Notions sur la vie religieuse, Solesmes.
Dom Guéranger, Paroles de vie, Solesmes, 2005.
Dom Guéranger, Les préfaces de l’Année liturgique, DMM, 1995.
Dom Guéranger, Notre Dame dans l’Année liturgique, Solesmes, 1997.
Dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge, Solesmes, 2004.
Liturgie et archéologie. Deux fondateurs…, correspondance de Dom Guéranger et J.-B. de Rossi, éditée par Dom Cuthbert Johnson, CLV, 2003.
Étude
Dom Cuthbert Johnson, Dom Guéranger et le renouveau liturgique, Téqui, 1988.