Marie d’Agréda et la Cité mystique de Dieu.
8ème article : La 2ème partie de la Cité mystique. L’Annonciation. La Visitation.. L’apparition de l’ange Gabriel à Saint Joseph. La naissance de Jésus. Les Rois mages. L purification de la Vierge Marie et la présentation de l’Enfant Jésus autemple. La fuite en Egypte. Le massacre des Saints Innocents.
(Huitième article. – Voir les n°s des 23 Mai, 6 et 20 Juin, 18 Juillet, 1er et 15 Août, et 12 Septembre.)
La deuxième partie de la Cité mystique est la plus considérable des trois ; elle s’étend de l’Annonciation à l’Ascension ; nous en commencerons aujourd’hui l’analyse, que nous achèverons dans l’article suivant.
Le temps est proche où le Fils de Dieu allait s’incarner en Marie. De nouvelles faveurs célestes furent prodiguées à la future Mère du Verbe, en préparation à son sublime ministère. Les neuf jours qui précédèrent la visite de l’ange furent remplis chacun par une merveille. Le premier jour, celle qui devait être la reine de la création fut initiée aux œuvres que Dieu avait accomplies en tirant du néant le ciel, la terre, la lumière et les anges. Le lendemain, l’œuvre divine du second jour de la création lui fut manifestée, et elle fut admise en partage de la toute-puissance sur tous les êtres créés. Marie ne voulut pas cependant profiter pour elle de ce pouvoir ; mais elle enjoignit aux éléments de sévir contre elle sans aucune distinction et de la traiter comme si elle eût été la dernière des créatures. Au troisième jour, les mystères des eaux et des plantes lui furent révélés ; au quatrième, ceux des corps célestes ; mais au milieu de toutes ces splendides manifestations qui l’initiaient à la science universelle, Marie, préoccupée toujours davantage de la misère des hommes, insistait avec plus d’ardeur encore auprès de la Majesté divine pour l’envoi du Rédempteur. Le cinquième jour, elle connut toutes les classes d’êtres qui sortirent du néant dans ce même jour. Le lendemain, Dieu lui fit connaître les animaux terrestres, et enfin la nature de l’homme par la création duquel Dieu avait terminé l’œuvre du sixième jour. Le septième jour, qui avait été celui du repos du Seigneur, elle fut enlevée au ciel par les anges. La sainte Trinité se complut en elle, à cause des accroissements qu’avaient pris ses vertus, et les anges reçurent ordre de la revêtir d’une parure nouvelle et symbolique, qui était en harmonie avec les incomparables beautés de son âme et avec sa prochaine dignité de Mère de Dieu. Le huitième et le neuvième jour, les esprits bienheureux la transportèrent encore au ciel. Chaque fois elle vit l’essence divine ; chaque fois aussi elle multiplia ses instances pour l’accélération de la grâce promise au monde.
Elle était redescendue ici-bas, lorsque Gabriel reçut enfin du Tout-Puissant l’ordre de porter le message de l’incarnation à Celle qui implorait avec tant d’ardeur l’accomplissement de ce grand mystère, sans jamais s’être doutée qu’elle était destinée à en être l’instrument glorieux et nécessaire.
La Sœur place ici plusieurs particularités relatives à la personne de Marie. La future Mère de Dieu avait alors quatorze ans six mois et dix-sept jours ; sa taille surpassait celle des femmes de son âge ; elle avait le visage ovale, et les traits d’une grande délicatesse ; son teint était clair, quoique un peu bruni ; le front large, les sourcils bien arqués ; les yeux grands et de l’expression la plus modeste, d’une couleur entre le noir et le bleu, et dont l’éclat était tempéré par une ineffable douceur ; le nez droit et régulier, la bouche petite et vermeille ; tout l’ensemble d’une beauté qui ne se rencontrera jamais dans aucune créature humaine. Ses vêtements étaient simples, presque pauvres, d’un gris argenté, tirant sur le cendré.
Tandis que le céleste ambassadeur parcourait l’espace, la Vierge se trouvait plongée dans la contemplation du divin mystère dont elle avait appris au ciel, et de Dieu même, que l’instant était proche. Lorsque le Verbe divin traversa lui-même les cieux pour venir s’arrêter en elle, les sphères tressaillirent et la commotion prédite par le Psalmiste se fit sentir à toute la création matérielle. L’homme seul ne ressentit aucun effet : Dieu l’avait disposé ainsi, afin que le mystère de rabaissement divin fût entouré du silence, comme il l’était déjà des ombres de la nuit ; il n’y eut que quelques justes qui éprouvèrent à ce moment une émotion de joie inconnue, avec un pressentiment que le Messie arrivait. En même temps, l’archange Michel était envoyé aux limbes pour y porter la nouvelle fortunée, et les démons se sentirent avec rage refoulés en ce moment jusqu’au fond des enfers.
Vient ensuite le récit évangélique de l’Annonciation. Au moment où la Vierge acquiesçait aux volontés du Ciel, l’humanité du Verbe était formée en elle du plus pur de son sang, l’âme était créée et unie au corps, et l’union personnelle des deux natures en Jésus commençait pour durer éternellement. Le mystère s’accomplit un vendredi, 25 mars, de l’an du monde 5199. La Sœur insiste sur cette date, qui est conforme à la chronologie des Septante, et qu’elle dit lui avoir été expressément révélée comme la seule qui soit sûre. Pendant que le Fils de Dieu s’incarnait en elle, Marie fut favorisée de la vision béatifique, et connut dans la lumière de Dieu le sens de tous les présages qui la concernaient, et dont son humilité lui avait jusque-là dérobé l’intelligence. Mais en même temps elle vit quelles devaient être les épreuves, les souffrances et la mort de son divin Fils, et elle commença dès lors à ressentir les angoisses d’une tendre et maternelle compassion. Après cette vision momentanée de la lumière divine, il resta en elle quelque chose de resplendissant qui paraissait dans ses traits. Durant le temps de sa grossesse, six mille anges adoraient Dieu en elle comme dans l’Arche glorieuse du Nouveau-Testament. Ils l’aidaient dans son travail et la servaient, lorsqu’elle n’était pas sous les regards de Joseph, que le Ciel n’avait pas mis encore dans la confidence du mystère. Il arrivait souvent que les oiseaux la saluaient dans leur vol ; ils chantaient et gazouillaient autour d’elle, et ne s’envolaient pas qu’elle ne les eût bénis.
A peine la Vierge avait-elle commencé la carrière de sa divine maternité qu’elle demanda et obtint de Joseph la faveur d’aller visiter Elisabeth, sa cousine, dont Gabriel lui avait appris l’heureuse grossesse. Joseph l’accompagna dans le voyage, qui était de vingt-sept milles, et qui dura quatre jours. Plus d’une fois sur la route la présence de Dieu résidant en son épouse lui fit éprouver le sentiment d’un bonheur aussi nouveau pour lui qu’inconnu. Aux diverses stations du voyage, Marie consolait les pauvres et guérissait les malades. Elle rendit, entre autres, la santé à une jeune fille que la fièvre avait épuisée et qu’elle conduisait au tombeau.
La Sœur donne le nom de Juda à la ville même où habitait Zacharie. Elle rapporte ensuite la scène de la Visitation. Jean fut sanctifié dans le sein de sa mère, Marie ayant obtenu pour lui cette grâce. Elisabeth eut la faveur de voir le Verbe incarné au sein de sa glorieuse mère, comme à travers un cristal. C’est ainsi, comme le remarque la Sœur, que trois femmes furent les premières confidentes du mystère de l’Incarnation : Anne d’abord, Marie ensuite, enfin Elisabeth. La Visitation eut lieu le huitième jour après l’Annonciation. Marie resta auprès de sa cousine jusqu’au lendemain de la circoncision de Jean-Baptiste, et repartit pour Nazareth le 2 juillet avec Joseph. Elle combla de ses caresses l’enfant d’Elisabeth ; mais elle ne l’embrassa pas, réservant ses baisers pour le Fils de Dieu, qu’elle devait bientôt tenir dans ses bras et presser sur son cœur.
La compression violente qu’avaient ressentie les démons au moment de l’incarnation, porta Lucifer à parcourir la terre, afin de découvrir la cause de cette diminution de leur pouvoir. Il réunit un conseil des esprits infernaux, et leur déclara le désespoir qu’il éprouvait de sentir la décadence de son empire. Il avait cru d’abord, dit-il, que Marie était destinée à devenir la mère du Messie ; mais cette femme doit être une vierge, et Marie a reçu un époux. Néanmoins sa force contre les démons leur est si irrésistible, qu’il y a lieu de craindre qu’il y ait en elle quelque mystère caché. Satan conclut donc que l’enfer doit désormais diriger contre elle toutes ses embûches. Le Fils de Dieu, au sein de sa Mère, s’adressa au Père céleste, et lui demanda de la soutenir contre les violences dont elle allait être assaillie. Les démons tentèrent Marie d’orgueil, de blasphème, d’avarice, de colère ; mais la Vierge fut invincible. Ils cherchèrent alors à la faire périr avec son fruit : Lucifer se montra à elle sous les formes les plus hideuses et les plus effrayantes ; mais il n’étonna pas la Mère de Dieu. Lui et ses légions furent renversés par un mot de sa bouche ; et cherchant à fuir, ils ne purent sortir de sa présence que lorsqu’elle leur eut commandé de retourner aux enfers.
On était au cinquième mois depuis l’incarnation, lorsque Joseph s’aperçut que son épouse ne tarderait pas à devenir mère. La Sœur relate ici les détails donnés dans l’Évangile, et ajoute que l’ange envoyé à Joseph pour l’éclairer sur le mystère la maternité divine fut Gabriel. Elle raconte ensuite d’une manière touchante les excuses que Joseph adressa à sa chaste épouse, et les adorations qu’il rendit au divin fruit de ses entrailles. Viennent ensuite quelques détails sur la manière de vivre des deux saints époux à Nazareth. Leur maison était divisée en trois pièces ; dans l’une, Joseph prenait son repos, dans l’autre il travaillait ; la troisième était habitée par la Vierge. Ils n’avaient ni serviteur, ni servante. Les vêtements de la Vierge ne s’usaient et ne se salissaient jamais ; si elle les remplaçait quelquefois, c’était uniquement afin de dérober ce prodige aux yeux d’autrui. Les ouvrages qu’elle faisait étaient d’une perfection achevée et inimitable. Bien qu’elle apprêtât de la viande pour Joseph, elle n’en mangeait jamais elle-même. Elle se nourrissait de fruits, de poisson, de pain ordinaire et de quelques herbes cuites. Souvent elle lisait à son époux les saintes Écritures et les lui interprétait ; mais elle n’appuyait pas sur les prophéties d’Isaïe et de Jérémie relatives aux souffrances futures du Christ, dans la crainte de le contrister. En voyant les oiseaux rendre à la Mère de Dieu leurs naïfs hommages, Joseph disait à Marie : « Laisserai-je donc ces êtres innocents et sans raison me surpasser en respects à votre égard ? » Quelquefois le nécessaire manquait à la maison ; alors la Vierge commandait à ces oiseaux d’y subvenir ; ils partaient et revenaient, bientôt apportant quelque poisson ; et même du pain. Joseph et Marie ne fixaient jamais le prix du travail qu’ils avaient fait pour autrui ; ils se contentaient de ce qu’on leur donnait, et il arrivait que de temps en temps ce salaire ne venait pas. Plus d’une fois, étant sans provisions aucunes, ils attendirent jusqu’au soir le repas que le Ciel leur envoyait enfin par un prodige. Marie chantait souvent de beaux cantiques que l’Esprit saint lui inspirait, mais qui n’ont pas été recueillis.
L’époque des couches virginales arriva enfin. Marie prépara d’avance les langes pour le nouveau-né ; elle les arrosa d’eau de senteur et les serra dans une corbeille qu’elle avait destinée à cet usage. A mesure qu’approchait le jour où il lui serait donné de jouir de la vue et des embrassements de son divin fils, ses transports d’amour augmentaient : mais le souvenir de la cruelle Passion à laquelle il était réservé venait tout d’un coup assombrir ces joies inénarrables ; alors elle demandait à son fils comme une grâce d’être toute sa vie associée à ses douleurs. Joseph se procura un âne pour le voyage de Bethléhem, et les deux époux se mirent en route. Dieu avait envoyé neuf mille anges de plus pour faire cortège à la Reine du ciel pendant le voyage. Marie et Joseph chantaient souvent d’harmonieux cantiques avec ces esprit bienheureux. Sur la route, ils souffrirent beaucoup du froid et de l’intempérie de la saison, contre lesquels Marie ne voulut jamais employer en sa faveur le pouvoir qu’elle avait reçu sur les lois de la nature. Plus d’une fois les anges durent la soutenir dans les fatigues qui l’accablaient. Les saints voyageurs arrivèrent à Bethléhem le cinquième jour depuis leur départ de Nazareth, un samedi, vers le soir. Ils frappèrent en vain à la porte de cinquante maisons pour obtenir un logement, et furent réduits à se retirer dans une caverne servant d’étable, hors la ville. La Sœur raconte alors la naissance du Sauveur et expose le privilège de Marie dans l’enfantement divin, ainsi que l’enseigne l’Eglise. Michel et Gabriel reçurent respectueusement l’enfant, qui, étant encore entre les bras des anges, salua sa Mère dans les termes les plus affectueux. La voix du Père céleste se fit entendre ; elle disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances. » Les dix mille anges adoraient prosternés, et les autres esprits bienheureux restés au Ciel descendirent vers la terre, qui était à ce moment comme un nouveau ciel. Une joie inénarrable débordait au cœur de Joseph, et sans un secours spécial, cette joie au-dessus des forces humaines eût anéanti son existence mortelle. Lorsque la Vierge eut enveloppé l’enfant dans les langes, Joseph le reçut et le plaça dans la crèche, sur du foin. Aussitôt un bœuf accourut de la prairie et vint se placer près de l’âne. Marie commanda à ces deux animaux de réchauffer de leur haleine, le nouveau-né ; ils se prosternèrent d’abord devant l’enfant, et ainsi fut accomplie à la lettre cette prédiction d’Isaïe : « Le bœuf a reconnu son maître ; et l’âne la crèche de son Seigneur. »
Marie donna ordre à Michel de partir pour les limbes, et d’aller annoncer aux justes, surtout à Anne et à Joachim, l’heureuse naissance du Fils de Dieu. Un autre ange fut député à Elisabeth et à Jean son fils. Elisabeth envoya tout aussitôt à Marie des linges pour l’enfant et quelque argent pour leurs besoins. Zacharie, Siméon, Anne la Prophétesse, reçurent aussi un message angélique. Tous les justes qui étaient sur la terre éprouvèrent une impression de bonheur au moment où le Christ naissait. La nature matérielle ressentit un frémissement inconnu, les astres resplendirent d’un éclat nouveau, et l’étoile qui devait amener les Mages parut tout à coup dans le ciel. Des arbres se couvrirent subitement de fleurs et de fruits. En divers lieux, plusieurs temples d’idoles s’écroulèrent. Ces faits furent remarqués ; mais on les attribua à toute autre cause. L’ange qui apparut aux bergers fut Gabriel. Les bergers, après avoir adoré l’enfant, restèrent dans la grotte jusqu’à midi, et Marie leur servit un repas. La douloureuse opération de la circoncision effrayait le cœur de la Vierge pour son fils : elle consulta le Très-Haut, lui représentant les raisons qui devaient affranchir l’enfant de cette cruelle formalité. Il lui fut répondu qu’il devait être traité comme les autres enfants d’Israël. De nombreux anges descendirent du ciel portant le nom de Jésus gravé sur une pierre précieuse ; ils devaient former la cour du Rédempteur jusqu’à son Ascension. La circoncision fut accomplie dans 1a grotte, et durant l’opération, Marie, malgré le brisement de son cœur, voulut tenir elle-même son fils dans ses bras. Elle essuya la blessure avec un linge qui reçut ainsi les prémices du sang libérateur, et qu’elle remit à Joseph pour être conservé précieusement. Tant que dura la douleur qui était la suite de la circoncision, elle tint nuit et jour l’enfant entre ses bras. Cependant, les anges s’efforçaient de calmer ses angoisses maternelles, en exécutant avec Joseph des chants mélodieux en l’honneur du nom de Jésus qui venait d’être imposé au nouveau-né.
Marie savait que les Rois mages étaient en route depuis le jour de la naissance de son fils ; mais elle en gardait le secret. Les anges reçurent du ciel l’ordre d’en prévenir Joseph. Marie lui fit savoir à son tour qu’ils devaient tous deux rester à Bethléhem jusqu’au jour de la Purification. La température sévissait durement dans la grotte ; mais la Vierge usait de son pouvoir sur les éléments pour désarmer leur rigueur à l’égard de son fils et de son époux, sans accepter pour elle-même cet adoucissement. Trois fois le jour elle allaitait l’enfant, et les caresses qu’il lui prodiguait lui faisaient éprouver un bonheur auquel sa vie n’eût pu résister, si le pouvoir divin d’un tel fils ne l’eut soutenue.
Les Mages venaient de la Perse, de l’Arabie et de Saba. Ils étaient justes dans leurs œuvres et adonnés aux sciences, gouvernant avec sagesse et par eux-mêmes leurs petits Etats. Ils communiquaient entre eux et attendaient la venue du Messie, dont ils avaient connu la venue prochaine par leurs relations avec plusieurs juifs. Un ange apparut à chacun d’eux et leur révéla que ce Messie était né, et qu’ils eussent à suivre l’étoile qui paraissait au ciel. Sans s’être concertés, ils préparèrent leurs présents et se mirent en route avec leur suite et leurs chameaux. Bientôt ils se trouvèrent réunis sur la route de Judée et se communiquèrent avec une joie extrême les révélations simultanées qu’ils avaient reçues. La Sœur décrit ensuite l’arrivée des Mages à l’étable. L’étoile s’arrête au-dessus de la tête du nouveau-né ; une lumière éblouissante dont l’enfant est le foyer, remplit la caverne, et les anges deviennent visibles aux trois voyageurs. Un instinct divin leur révèle que cet enfant est Dieu, et que la mère qui le leur présente est vierge. Prosternés, ils demandent à Marie la faveur de baiser sa main ; elle leur présente la main divine de son fils. Les Rois restèrent dans la grotte trois heures entières, dans l’extase de l’admiration et de l’amour, Le lendemain, ils revinrent pour offrir leurs présents mystérieux. Ils voulurent, mais en vain, faire accepter à la Vierge des pierres précieuses du plus haut prix qu’ils avaient apportées ; elle les remercia, et en retour de leur bonne volonté, elle leur remit quelques parties des langes, de son fils. Après leur départ, la Vierge distribua les présents qu’ils avaient offerts, partie au temple, partie au prêtre qui avait circoncis l’enfant, et enfin aux pauvres.
La sainte Famille se retira peu après dans une maison de Bethléhem, pour éviter le concours que la nouvelle du voyage des princes orientaux attirait à l’étable. La Sœur dit que ce lieu sacré fut dès-lors confié à la garde d’un ange, qui y veille jusqu’aujourd’hui ; et elle ajoute que l’un des moyens les plus efficaces que les princes catholiques puissent employer pour consolider leur trône, est de se faire protecteurs des Saints-Lieux de la Palestine. L’enfant Jésus parlait à sa Mère, mais à elle seule ; ce ne fut qu’après un an qu’il commença à adresser la parole à Joseph. Le temps de la Purification arriva. Avant de partir pour Jérusalem, Marie voulut revoir la grotte où avait commencé la maternité divine, et elle baisa avec amour la terre de cet humble réduit où le Fils de l’Eternel avait daigné naître. Le trajet jusqu’à Jérusalem fut comme une glorieuse procession ; des milliers d’anges accompagnaient le groupe sacré. Sur la route, la froidure se fit sentir ; l’Enfant divin tremblait de ses petits membres, et des larmes coulaient de ses yeux. Marie employa encore son pouvoir sur la nature pour combattre, en faveur de son Fils, l’inclémence de la saison. Siméon et Anne reçurent l’avis intérieur que le Sauveur du monde approchait, et ils préparèrent une maison pour recevoir la sainte Famille. A la vue de l’Enfant, Siméon fut divinement éclairé sur le mystère des deux natures et sur les grandeurs de Marie. Anne, qui l’avait élevée dans le temple, reçut aussi de grandes faveurs. Marie voulut rester neuf jours à Jérusalem, et chacun de ces jours, elle monta au temple pour y prier. Mais déjà les angoisses prédites par Siméon à l’incomparable Mère se faisaient cruellement sentir. Il fallait fuir au plus tôt vers l’Égypte, pour éviter les effets de la colère d’Hérode. Avant le départ, Marie envoya un message à Elisabeth, pour l’avertir de mettre son propre Fils en sûreté. Élisabeth répondit en envoyant à sa cousine de l’argent, des vivres et du linge peur le voyage ; la sainte Famille était déjà rendue à Gaza, lorsque le porteur de ces divers objets la rejoignit. Les saints voyageurs eurent à traverser le désert de Bersabée, qui est de soixante mille. Ils étaient réduits à passer la nuit à la belle étoile. Les anges faisaient la garde ; l’Enfant dormait dans les bras de sa Mère, qui veillait et conversait avec Dieu et avec les esprits célestes. Un orage violent les saisit un jour, et la Vierge ayant encore cette fois usé de son pouvoir pour protéger son Fils, sans songer à elle-même, l’Enfant, à son tour, donna ses ordres, et commanda aux anges de garantir sa Mère contre les injures de l’air. Plus d’une fois ils eurent à souffrir la faim ; les anges leur procurèrent des vivres ; mais l’épreuve avait duré longtemps.
Enfin, après cinquante jours de marche, on arriva en Egypte, à Héliopolis. Le divin Enfant leva les yeux au ciel et pria pour le salut de cette nation infidèle ; puis il commanda aux démons qui habitaient les idoles de se replonger dans les enfers, et il se fit un ébranlement dans tous les temples de l’Egypte ; plusieurs idoles tombèrent ; mais si humble et si obscure avait été l’entrée du Fils de Dieu et de sa mère dans ce pays, que les démons ne surent à qui attribuer le coup imprévu qui était tombé sur eux. Marie causa une vive impression aux personnes de la ville d’Héliopolis qui la virent et s’entretinrent avec elle ; on en vit plusieurs reconnaître le vrai Dieu, à la vue des guérisons qu’elle opérait et en entendant sa parole si persuasive. Marie et Joseph partirent de cette ville avec l’Enfant, et se dirigèrent vers Hermopolis. Il y avait là aussi beaucoup de temples et d’idoles. Un arbre situé aux portes de la ville était l’objet d’un culte superstitieux ; à l’approche du Fils de Marie, le démon qui occupait cet arbre s’enfuit repoussé par une force invincible, et l’arbre lui-même s’inclina jusqu’à terre au passage de son Créateur. Ce prodige arriva plusieurs fois sur la route que parcourut la sainte Famille, en se rendant en Egypte ; et la Sœur confirme en particulier la tradition dés chrétiens du Caire sur l’arbre et la fontaine que l’on montre encore aujourd’hui dans cette contrée. Le principal séjour de la sainte Famille en Egypte fut à Héliopolis, où elle revint après avoir habité d’autres villes. Marie y convertit au vrai Dieu beaucoup d’infidèles.
La Sœur revient ensuite au massacre des saints innocents, qui se préparait lors du départ de la sainte Famille. Marie connut que son fils avait obtenu pour ces enfants l’usage de la raison au moment de leur martyre, afin qu’ils pussent s’offrir en sacrifice à Dieu. Il lui fut ensuite manifesté que Zacharie était mort quatre mois après la naissance du Sauveur, et qu’Elisabeth s’était retirée au désert avec son fils. Elisabeth mourut trois ans après son mari, et Jean demeura au désert. Marie, qui ne pouvait quitter l’Egypte pour assister sa cousine mourante, lui envoya une partie des anges de sa garde. Par le ministère de ces esprits célestes, elle subvint aux besoins de l’enfant du désert jusqu’à ce qu’il fût arrivé à l’âge de se pourvoir lui-même.
Les détails qui font suite sont relatifs à l’enfance de Jésus. Un an entier il fut enveloppé de langes et serré de bandelettes. Marie lui tissa ensuite une tunique de couleur commune qu’il porta toute sa vie ; car elle grandit avec lui, et ce fut celle que les soldats tirèrent au sort sur le Calvaire. L’enfant consentit à user de chaussures jusqu’au temps où, devenu homme, il commencerait, sa prédication : mais il refusa de porter du linge sous sa tunique. La couleur de cette tunique tirait sur le violet et le gris d’argent fondus dans une nuance qui ne se peut décrire en paroles. Quant au vêtement extérieur que le Sauveur dépouilla dans le cénacle, avant de laver les pieds de ses disciples, il était aussi l’ouvrage de Marie ; mais ce fut à Nazareth qu’elle le fit.
D[om] P[rosper] Guéranger.