Marie d’Agreda – 15e article

Marie d’Agréda et la Cité mystique de Dieu.

15ème article : La magnifique doctrine de Monsieur Olier. Baisse du sens mystique dans la 2ème moitié du 17ème siècle. La Sorbonne et l’autorité du Pontife Romain. Le dogme de Marie et le dogme du Pontife romain sont frères. Le martyrologe d’Usuard et l’Assomption de Marie. Mgr Gilbert de Choiseul. Les Monita.

 

(15° article. — Voir les n°s des 23 mai, 6 et 20 juin, 18 juillet, 1er et 15 août, 13 et 27 septembre, 10 octobre, 21 novembre, 5 et 19 Décembre 1858, 16 et 31 janvier 1859.)

 

    La magnifique doctrine de M[onsieur] Olier sur la Mère de Dieu ne lui était pas personnelle, nous l’avons dit ; mais elle résumait avec une grande plénitude cette partie des belles conceptions sur le mystère de l’Incarnation, auxquelles s’étaient livrées tant de saintes et nobles âmes, dans la première moitié du XVIIe siècle. Je n’ai cité que quelques traits ; mais je ne doute pas que plus d’un lecteur ne se joigne à moi pour émettre le désir de voir bientôt le public religieux admis à jouir de tant de précieuses pages sorties de la plume de M[onsieur] Olier, et qui sont malheureusement demeurées inédites jusqu’aujourd’hui.

Ces vues si hautes sur la Mère de Dieu, qui n’étaient après tout que le développement de ce qu’ont enseigné les Pères, discuté les théologiens scolastiques et pressenti les mystiques, s’effacèrent peu à peu, à mesure que l’ordre de foi et l’ordre de raison se divisèrent dans la méthode philosophique qui prévalut alors. On ne se bornait plus, comme nous l’avons remarqué ailleurs, à séparer ces deux ordres dans la théorie, ce qui est essentiel ; on tendit à les isoler dans la pratique. Il y eut le département de la raison et le département de la foi ; et malheureusement on se mit à appliquer trop librement dans les choses du second les procédés dont on pouvait user dans le premier. Il en résulta que tandis que la vie chrétienne s’appauvrissait par suite de cette double manière de voir et de sentir dans la pratique, la théologie, désormais parquée dans ce qu’on appelait ses limites, se rétrécissait à d’étroites proportions qui lui enlevèrent son essor Auparavant, la théologie se rattachait à tout, et tout se rattachait à elle, parce qu’il y a le côté surnaturel en toutes choses ; désormais, un théologien fut un homme spécial, et condamné à ne voir qu’un côté des choses.

C’est un fait que le sens mystique céda progressivement la place au sens philosophique, à mesure que le XVIIe siècle se précipitait vers sa fin ; toutes les productions de ce temps en rendent témoignage. Le mystère de l’Incarnation tient trop à l’ordre mystique pour que l’on put espérer que ses conséquences, appartenant toutes à l’ordre de foi ne fussent pas refoulées peu à peu. On crut faire assez en maintenant le fond dogmatique et didactique du mystère, et en l’élucidant par des thèses condensées et des traités solides ; mais les dérivés de la doctrine de l’incarnation, qui élèvent si haut la prérogative immense de Marie et la notion du Vicaire de Jésus-Christ sur la terre, n’étaient plus l’objet de cette recherche et de cet amour qu’avait connus la première moitié du siècle et qui avaient été payés par de si précieux fruits de sainteté. Loin de là, ils tombèrent dans l’oubli, et insensiblement des idées tout opposées prévalurent.

On fut à même de s’en apercevoir dès 1663, lorsque la Sorbonne s’en alla en corps à l’audience de Louis XIV, présenter comme sa doctrine six propositions restrictives de l’autorité du Pontife romain, propositions qui, réduites à une autre forme dix-neuf ans plus tard, s’élevèrent entre Rome et la France comme une sorte de rempart qui protégeait celle-ci contre les sollicitudes et les services de la Mère commune. Et la Sorbonne, pour accomplir cet acte courageux, choisissait le moment où la cour de France était en rupture avec Rome, à la suite d’un malheur arrivé dans cette ville, malheur dont l’autorité papale ne pouvait être responsable et qu’elle dut expier par les plus dures humiliations et après la menace d’un schisme. Notre pieuse Anne d’Autriche allait bientôt disparaître ; elle a droit d’être comptée dans la première moitié du siècle : dans cette triste affaire de la garde corse, sa piété filiale envers Rome, eut à souffrir ; elle intervint et gagna quelque chose sur son fils ; mais la déclaration aussi incompétente que déloyale de la Sorbonne demeura pour produire ses fruits.

Ils ne tardèrent pas à paraître. Deux ans après, la Faculté censurait arbitrairement plusieurs propositions du livre de Jacques Vernant, favorables à la divine autorité du Souverain-Pontife. Alexandre VII adressa ses instances au Roi pour obtenir la suppression de ce jugement inconsidéré ; mais le Roi fut sourd aux plaintes du Pontife. Celui-ci se vit obligé par sa charge de donner une Bulle portant condamnation de la censure, et l’on vit cette Constitution doctrinale, qui est insérée dans le Bullaire officiel du Saint-Siège, arrêtée à la frontière de France, bravée par la Sorbonne et condamnée par nos cours de justice. Peu d’années après, le savant P[ère] Thomassin ayant publié le premier volume de ses Dissertations sur les Conciles généraux et particuliers, et ayant soutenu dans ce livre avec la plus grande modération les droits du Pontife romain dans les Conciles, voyait son ouvrage prohibé et déféré à l’Assemblée du clergé de 1670. La science y perdit beaucoup ; car le livre ne fut pas continué ; mais on dut s’apercevoir que pour longtemps les Français seraient condamnés à n’entendre enseigner sur le Vicaire de Jésus-Christ que des notions réduites, incomplètes, et même gravement altérées par les intérêts et les préjugés.

Le dogme de Marie et le dogme du Pontife romain sont frères. Tous deux procèdent du mystère de l’Incarnation. Il a fallu une mère au Fils de Dieu ; depuis l’Ascension, il lui faut un Vicaire sur la terre. Le protestantisme et le jansénisme ont senti cette corrélation ; aussi ont-ils repoussé, chacun selon sa méthode, les prérogatives de l’un et de l’autre. En France, où tout allait s’affaiblissant à l’époque qui nous occupe, les atteintes portées à l’autorité papale devaient être accompagnées d’autres atteintes dirigées contre le culte de la Mère de Dieu.

Le premier fait que nous rencontrons se rapporte à l’année 1668 : en voici l’occasion. L’Église métropolitaine de Paris n’avait point accepté le Martyrologe romain publié par Grégoire XIII. Elle continuait à se servir, à l’office de Prime, du Martyrologe d’Usuard, en vertu du privilège qu’elle avait maintenu de conserver ses livres liturgiques. Or, le martyrologe d’Usuard contient, à la fête de l’Assomption de la Sainte-Vierge, une phrase de l’auteur dans laquelle il déclare ne pas vouloir trancher la question de l’Assomption corporelle de Marie. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette question. Usuard n’était qu’un simple moine de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, au IXe siècle, et son sentiment importe peu sur une matière de critique déjà décidée pour l’affirmative dans le sens de l’Assomption corporelle, par l’assentiment du toutes les Eglises de l’Orient et de l’Occident, et par le plus sérieux ensemble d’autorités, avant même que la définition du dogme de l’Immaculée-Conception fût venue lui apporter la plus irréfragable des confirmations. Toutefois, la piété du chapitre de Notre-Dame l’avait porté, dès l’an 1549, à faire disparaître de l’exemplaire qui servait à l’office de Prime la phrase en question, et on avait ajouté en place une espèce de Sermon dans lequel étaient rassemblés avec plus ou moins d’éloquence et de sentiment les arguments qui militent en faveur de l’Assomption corporelle de la Mère de Dieu.

Il y avait donc plus d’un siècle que le passage d’Usuard avait cessé d’être lu en Chapitre, et sa suppression avait eu lieu dans le but de rendre hommage à la Mère de Dieu, en faisant disparaître quelques lignes offensantes pour son honneur et pour la croyance de l’Eglise. On peut même dire que cette suppression avait l’avantage de mettre la liturgie de l’Eglise de Paris d’accord avec elle-même, puisque cette Eglise avait conservé à la messe et dans l’office de la fête du 15 août la belle Collecte du Sacramentaire grégorien, dans laquelle est professée si expressément et en termes si éloquents la croyance à l’Assomption corporelle. Néanmoins, le 18 juillet 1668, dans une assemblée capitulaire de l’Eglise de Paris, on lit la motion de supprimer le Sermon de 1549, ce qui en soi n’avait pas grand inconvénient ; mais on voulait autre chose. On demandait ni plus ni moins de rétablir la phrase d’Usuard. La proposition était faite et soutenue par le doyen J[ean]-B[aptiste] de Contes, et par les chanoines Claude Joly, de la Barde, de Tudert et Chastelain. Heureusement le Chapitre ne passa pas tout entier à l’avis du doyen et des quatre chanoines qui viennent d’être nommés. Une opposition se déclara, et les auteurs de la proposition se virent réduits à remettre la décision au jugement de l’Archevêque de Paris, qui était alors Hardouin de Péréfixe. Le Prélat procéda avec une grande prudence, et après s’être réservé le temps d’y réfléchir, il accorda la suppression du Sermon ; mais au lieu de permettre que l’on insérât la phrase d’Usuard dans la copie que le Chapitre de Paris faisait exécuter alors de son Martyrologe, il exigea que l’on transcrivit en place les propres termes de l’annonce de la fête de l’Assomption au Martyrologe romain.

A une autre époque, ceci n’eût été qu’un incident local ; en 1668, il y avait là une première manifestation d’un mal latent qui ne devait pas tarder à faire éruption à la surface. Tout aussitôt, en 1669, paraissait un livre du chanoine Claude Joly, sous ce titre : De verbis Usuardi quæ in Martyrologio Ecclesiæ Parisiensis referuntur in festo Assumptionis B. M. V. Dans cette dissertation, écrite avec science et habileté, l’auteur, tout en protestant de sa croyance personnelle à l’Assomption corporelle de la sainte Vierge, prenait la défense d’Usuard et de sa trop fameuse phrase, et conduisait insensiblement son lecteur au doute sur le fond de la question. Le livre était conduit avec une grande modération, et n’avait rien qui rappelât le style de certain opuscule que l’auteur avait publié au temps de la Fronde, et qui avait eu les honneurs du feu en 1665. Claude Joly n’en réussit pas moins à influencer l’opinion par cette première manifestation d’idées contraires à la plénitude des faveurs que Dieu a accordées à Marie. Mais l’antique piété avait encore ses représentants, et le temps n’était pas venu où l’on pourrait émettre, sans réclamation, les systèmes opposés à ce que tant de saints et de grands génies avaient cru et enseigné jusqu’alors. Deux chanoines de l’Eglise de Paris, docteurs de Sorbonne et opposants à la motion des cinq, répondirent vigoureusement et savamment au livre de Claude Joly : Nicolas Ladvocat-Billiad, par un écrit intitulé : Vindiciæ parthenicœ, Paris 1670, et Jacques Gaudin, sous ce titre : Assumptio Mariæ Virginis vindicata.

Mais le moment ne devait pas tarder où le système tout entier d’opposition au culte de Marie allait paraître formulé dans sa complète crudité. Le terrain se préparait peu à peu : cependant, il fallait des ménagements, et ne pas heurter de front ce qui restait encore en France de préjugés. Un opuscule publié à la frontière pénétrerait aisément dans le royaume ; en lui donnant une très faible dimension, on obtiendrait qu’il fût lu par un plus grand nombre de personnes ; en le donnant d’abord en latin, on amortirait le scandale, sauf à traduire en français, à l’usage des femmes et du peuple, quand la première émotion serait passée ; enfin, il faudrait choisir un titre bien hypocrite, et assez piquant toutefois pour tenter la curiosité. L’ignoble pamphlet parut en 1673, à Cologne ; il était anonyme, et avait pour rédacteur un certain docteur nommé Adam Widenfeldt. Son titre était : Monita salutaria B. V. Mariæ ad cultores suos indiscretos ; il ne tarda pas à paraître en français avec son titre traduit : Avis salutaires de la Bienheureuse Vierge Marie à ses dévots indiscrets.

L’auteur avait eu le secret de couvrir d’un vernis de respect pour la sainte Vierge tout son odieux système. Il osait mettre dans la bouche de Marie tous les enseignements destinés à anéantir la confiance et l’admiration que le chrétien doit avoir pour elle. Personne ne confessait plus haut que l’auteur la grandeur sublime de la divine maternité ; mais Marie ne pouvait être le Refuge des pécheurs, attendu qu’elle hait tout ce que Dieu hait, et que Dieu a le pécheur en horreur. Elle ne pouvait être notre Médiatrice, attendu que nous avons un Médiateur qui doit nous suffire surabondamment ; nous ne devons pas la considérer comme une Reine, car elle a dit elle-même qu’elle n’était que la servante du Seigneur ; l’amour que nous aurions pour elle serait un larcin que nous ferions à Dieu, qui seul a droit d’être aimé ; elle ne peut qu’être offensée quant on l’appelle la Mère de Miséricorde, comme si la miséricorde n’appartenait pas à Dieu ; la décoration recherchée de ses autels ne lui agrée pas ; les pèlerinages à ses images miraculeuses sont vains, et elle n’aime pas que l’on s’occupe des prérogatives que Dieu lui a conférées. Il est aisé de voir combien tout ceci sue le protestantisme ; je me borne cependant à quelques traits ; il faudrait transcrire en entier cet opuscule patelin de quinze pages in-18, pour se faire une idée du venin dont il regorge. Aujourd’hui encore, sa lecture donnerait de l’exercice à quiconque n’est pas un peu familiarisé par ses études avec la théologie mariale. On sent qu’un pareil écrit n’avait pas été produit par Satan pour demeurer sans effet. Il perça, et son influence a été immense non-seulement dans notre pays, où l’on trouve sa trace dans de milliers de productions durant plus d’un siècle, mais il alla jeter ses racines jusqu’en Portugal, puis en Espagne, puis à Naples, puis en Autriche, puis en Lombardie et en Toscane, partout où le jansénisme trouva moyen de s’insinuer dans le cours du siècle dernier.

Mais l’important, après sa publication, était de l’introduire en France, pays auquel il avait été destiné, comme devant se répandre de là dans le reste de l’Europe catholique. Pour cela, il était nécessaire de trouver un Evêque qui le goûtât et le prit sous sa responsabilité, mais un Evêque considéré pour sa science et pour la gravité de ses mœurs. Gilbert de Choiseul, évêque de Tournay, eut le malheur d’être cet Evêque. Placé d’abord sur le siège de Comminges, il avait attiré la confiance du parti janséniste, bien qu’il eût accepté les constitutions apostoliques contre les nouvelles erreurs ; on l’avait vu médiateur entre Port-Royal et la cour ; ses idées sur la puissance du Saint-Siège étaient très avancées, et l’on connaît la discussion qu’il eut avec Bossuet à l’Assemblée de 1682, et dans laquelle l’Evêque de Meaux fut obligé de combattre ses principes. A peine le livre des Monita salutaria avait-il paru, que Gilbert de Choiseul s’empressa d’en permettre une édition qu’il revêtit de sa permission épiscopale. Le scandale fut grand dans le diocèse de Tournay, et à tel point que le prélat se crut obligé de donner un long mandement pour justifier sa conduite et le livre lui-même. Cette pièce se terminait ainsi (page 93) : « Je déclare donc à tous les fidèles de ce diocèse, de quelque sexe et de quelque qualité qu’ils soient, qu’ils doivent être dans le sentiment de cette Lettre pastorale, et j’ordonne pour votre édification, mes chers enfants, à tous pasteurs, vice-pasteurs, prédicateurs, catéchistes, maîtres ou maîtresses d’école de ce diocèse, de prêcher ou d’enseigner la doctrine qu’elle contient ; et de détromper le peuple sur ce qu’on a dit contre les Avis salutaires de la bienheureuse Vierge, en les lui faisant lire et les lui expliquant dans leur vrai sens ; avec défense de rien dire au contraire, sous les peines de droit. » Le mandement est daté du 7 juin 1674, et imprimé à Lille, avec extrait du privilège du Roi. Je n’ai pas besoin d’ajouter que cette pièce est une rareté bibliographique.

On est confondu, en la lisant, par l’incroyable bonne foi du Prélat, qui cependant ne manquait pas de théologie ; mais Gilbert de Choiseul était un esprit conséquent, et il se laissait emporter au courant auquel il s’était livré, et des milliers d’autres devaient suivre son exemple. Comment n’apercevait-il pas, par exemple, le sophisme grossier des Monita, quand ils nous disent que la sainte Vierge a déclaré elle-même qu’elle n’est que la servante de Dieu, et qu’en conséquence elle ne doit pas être aise qu’on la démente en l’appelant Reine et Maîtresse ? Avec la moindre réflexion ; on se rappellerait que Marie parlait ainsi avant d’être la Mère du Fils de Dieu ; et avec un peu de théologie, on comprendrait qu’aussitôt qu’elle fut Mère de Dieu, elle ne cessa pas d’être servante en tant que créature, elle monta tout-à-coup, en tant que Mère Dieu, à une dignité et à des honneurs au-dessus desquels il n’y a que la dignité et les honneurs de Dieu lui-même. L’assertion du pamphlétaire est donc tout simplement une impiété, que nous retrouvons au reste, mot pour mot, dans les brochures protestantes dont on inonde la France en moment même.

Il faut être juste cependant pour Gilbert de Choiseul, et ajouter que, dans le cours de son Mandement, à propos de certains bruits qui s’étaient répandus que le libelle était déféré au Saint-Siège, il s’engage à souscrire à la condamnation romaine, si elle avait lieu, ce dont il paraît douter. Nonobstant, le libelle fut proscrit la même année par un décret de l’Index, en date du 16 juin 1674, peu de jour après la publication du Mandement de l’Evêque de Tournay. On ne voit pas que ce Prélat ait retiré l’acte si imprudent qu’il avait lancé, et l’Assemblée du clergé qui se tint peu après ne parait pas s’en être préoccupée.

Les catholiques des Flandres, chez lesquels l’antique dévotion à Marie ne faisait pas défaut, blessés que le pamphlet eût paru avec l’approbation d’un docteur flamand, Jean Gillemans, censeur des livres dans le diocèse de Gand, et effrayés de dangers que courait la piété des fidèles, publièrent diverses réfutations des lâches impiétés dont cette production était remplie. On distingua surtout celui qui portait ce titre : Jesu Christi monita maxime salutaria de cultu dilectissimæ Matri Mariæ debite exhibendo, et cet autre : Cultus B. V. Mariæ vindicatus, par le P[ère] Jérôme Henneguier. L’auteur voulut répondre et publia, ou fit publier, une défense intitulée : Monita salutaria B. V. Mariæ vindicata. Un nouveau décret de l’Index, daté du 22 juin 1676, foudroya ce nouvel écrit. Toutefois, on désirait une censure doctrinale qui entrât dans le fond même des questions soulevées par le pamphlétaire, et d’autant plus que l’influence de ses damnables idées allait gagnant toujours. Dans son écrit, qui est tout en sentences, on lisait une maxime qui résume assez bien tout l’ensemble. Widenfeldt faisait dire à Marie, au paragraphe VIe : « Laus quœ mihi defertur ut mihi, vana est ; la louange qui s’adresse à moi, comme à moi-même, est une louange vaine ; » d’où il suivait que Marie n’avait par elle-même droit à aucun hommage. Enfin, le 7 décembre 1690, Alexandre VIII jugeant qu’il était nécessaire d’éclairer les fidèles par une sentence expresse, sur une matière aussi importante dans le christianisme que l’est la dignité propre et personnelle de Marie, condamna formellement cette proposition : Laus quæ defertur Mariæ ut Mariæ, vana est, faisant défense, sous peine d’excommunication réservée au Pontife romain, de l’enseigner, de la défendre et même de la répéter autrement que pour la combattre. Cette proposition est insérée la vingt-sixième dans cet important décret dogmatique d’Alexandre VIII, qui a fixé la doctrine sur tant de points.

La France produisit une excellente réfutation des Monita, que l’on doit à la plume du pieux et savant Pierre Grenier, dont nous avons déjà parlé à propos de son introduction à la Cité mystique. Dans ce livre, intitulé : Apologie des dévots de la Sainte Vierge, qui parut en 1675, à Bruxelles, parce qu’on aurait eu de la peine à trouver à Paris des docteurs qui consentissent à se mettre en avant par une approbation, l’auteur constate les progrès que la doctrine du libelle faisait tous les jours en France ; nous en verrons ici successivement les traces. Tant qu’une doctrine n’est pas formulée encore, sa marche est lente et incertaine ; quand elle a pris un corps, elle pénètre partout, et offre une résistance opiniâtre qu’elle ne présentait pas auparavant. Les Monita furent pour l’opposition au culte de la sainte Vierge la formule sérieuse et enregistrée, comme les six propositions de la Sorbonne l’avaient été, peu d’années auparavant, pour l’opposition aux droits du Pontife romain. Les vérités diminuaient, et l’erreur se résumait afin de durer.

 

D[om] P[rosper] Guéranger.