DEUXIEME DÉFENSE DE L’EGLISE ROMAINE
CONTRE LES ACCUSATIONS DU R.P. GRATRY
PAR LE R.P. DOM PROSPER GUÉRANGER ABBÉ DE SOLESMES
II
Le R.P. Gratry poursuit ses courses aventureuses .dans une région où jamais il n’avait mis le pied jusqu’ici. Il importe néanmoins de le suivre et de signaler ses fauxpas, moins, hélas ! dans l’espoir de le ramener, que dans le désir de porter secours à ceux qui sont en danger de s’égarer en le suivant. Il vient de publier, sous le titre de Deuxième lettre à Mgr Deschamps, une seconde diatribe contre l’Église romaine, et l’audace qu’il déploie dans ce nouvel écrit, n’a d’égale que l’ignorance toujours plus marquée des premières notions sur les choses dont il juge à propos d’entretenir son public.
Sa prétention, il faut l’avouer, n’est pas ordinaire pour un débutant en théologie. Il pense avoir ruiné à tout jamais l’infaillibilité du Pape, et cela dans son premier opuscule de quatrevingts petites pages
émaillées d’anachronismes et de confusions de tout genre, ainsi qu’il a été aisé de le faire voir. Mais il faut transcrire cet incroyable langage : » J’ai tenu, » ditil, la promesse que j’ai faite au début de ma » première lettre ; j’ai montré, Monseigneur, que » pour établir votre thèse, celle de l’infaillibilité personnelle, vous avez travaillé sur des documents faux. J’en dis autant de tous ceux qui soutiennent la même thèse, sans exception. Ils ont tous, directement et indirectement, travaillé sur des pièces » frauduleuses, aujourd’hui reconnues comme telles. est une question totalement gangrenée par la » fraude 1 »
Après avoir dit ces belles choses, le R.P. Gratry ferme les yeux, et se laisse aller au doux rêve d’avoir pourfendu tous les théologiens ultramontains. Je me ferais conscience de le réveiller s’il n’y avait lieu de craindre pour l’âme trop confiante de ses lecteurs. Avant d’entrer dans le détail, je dirai donc à ceuxci : » Oui, il est bien vrai que les moyens » de la critique n’ont pas toujours existé avec l’abondance où nous les possédons aujourd’hui ; mais le » bon sens est de tous les temps. Si le discernement » était difficile à faire au moyen âge entre les documents authentiques et ceux qui ne l’étaient pas, » en sorte que l’ argument tiré du sentiment des Pères » ne se construisait pas avec autant de facilité qu’aujourd’hui, restait toujours, avec la tradition, l’argument fondé sur l’Écriture, sur l’analogie de la foi et sur la pratique de l’Église ; en sorte qu’au moyen de l’induction, procédé fort recommandé » ailleurs par le R.P. Gratry, on arrivait à une conclusion certaine.
Malheureusement pour l’éloquent oratoire , le procédé philosophique qui a tant de valeur à ses yeux, et avec raison, se trouve en ce moment souffrir une éclipse chez lui ; car autrement, il ne nous ferait pas des raisonnements tels que celui que je viens de transcrire. » Un homme a travaillé en faveur d’une thèse sur des documents faux ; donc » tous ceux qui soutiennent la même thèse ont tous, » sans exception, travaillé sur des documents faux. » Tel est l’argument du R.P. Gratry ; je demande s’il est en forme ? Pour le rappeler à la vraie philosophie dont il était naguère si ,jaloux, je me permettrai de lui soumettre une hypothèse sur laquelle il a eu le tort de ne pas compter. C’est celleci : Supposons qu’un homme soutienne la thèse en question, en s’appuyant que sur des documents authentiques, comment se trouveratil contenu dans votre conclusion ?
Or, il en est ainsi , et le R.P. Gratry n’a pas l’air de s’en douter. Il constate avec triomphe, que l’on rencontre des textes apocryphes dans trois auteurs ultramontains ; donc, s’écrietil , un auteur ultramontain est incapable de procéder autrement. Hâtonsnous de dire que le R.P. Gratry met loyalement à couvert la bonne foi de ces trois auteurs ; mais son argument n’en devient pas meilleur pour cela. Le premier des trois théologiens qu’il cite fleurissait au milieu du seizième siècle, avant que l’éveil eût été donné sur les fausses décrétales. Ce n’est pas assurément que Melchior Cano manquant du sens critique ; mais alors le terrain n’était pas déblayé. Le R.P. Gratry apprendra à ses dépens que la bonne volonté ne supplée pas à la science des faits. Ce qui est excusable dans un théologien du seizième siècle ne saurait l’être dans un académicien du dixneuvième.
Bellarmin est le second des auteurs qu’incrimine le R.P. Gratry pour leur défaut de critique. Qu’il me permette de lui dire que s’il savait par luimême ce que coûte la science positive, il rougirait d’avoir osé appeler ce, grand homme à sa barre. Lorsque tout était encore à faire dans le vaste champ de la polémique contre le protestantisme, Bellarmin recula les bornes de l’érudition en poursuivant l’ennemi, jusqu’à réduire l’anglicanisme à fonder une chaire spéciale pour combattre ses immortelles Controverses. Et le R.P. Gratry a le courage de remarquer deux ou trois textes des fausses décrétales dans la vaste thèse où le docte Jésuite accumule tant d’autres témoignages des plus authentiques ! Les vrais savants se ménagent et s’honorent ; le R.P. Gratry prouve trop qu’il n’a rien de commun avec eux.
Estil plus juste à l’égard de saint Alphonse dé Liguori ? Sans doute, il eût été à désirer qu’un si laborieux docteur eût connu les sources par luimême, et n’eût pas reçu de seconde ou de troisième main certains passages ; mais estil permis d’oublier tant de fatigues apostoliques qui ont rempli la vie du saint évêque, et qu’il sut allier aux travaux de la vie la plus studieuse ? Laissez au compte des scholastiques, q’il n’a pu contrôler au milieu des labeurs de son sublime apostolat, les textes qu’il leur a empruntés ; mais essayez de répondre aux arguments par lesquels il pulvérise le gallicanisme. Prouveznous que le saint évêque n’a pas su manier d’induction, et par elle mettre à néant les sophismes des ennemis de la monarchie pontificale.
Mais la question n’est pas là, et c’est en vain que le R.P. Gratry cherche à faire illusion à son public. Quand bien même nous consentirions à lui abandonner les trois illustres auteurs qu’il expédie si lestement, il serait à peine au début de sa campagne. Qu’il apprenne donc, et qu’il le répète à ses lecteurs, que les doctrines romaines, loin d’avoir rien souffert des progrès de la critique, sont sorties de cette épreuve plus lumineuses que jamais. Dans les dix septième, dixhuitième et dixneuvième, siècles, il s’est trouvé des hommes savants dans l’antiquité ecclésiastique pour mettre à néant les thèses gallicanes, en invoquant les autorités les plus sûres. Le R.P. Gratry, puisqu’il s’est lancé, a donc maintenant devant lui la phalange très serrée des Orsi, des Mamachi, des Ballerini, des Soardi, des Mansi, des Roncaglia, des Bianchi, des Zaccaria, des Veith, des Bolgeni, des Muzarelli, des Capellari (Grégoire XVI).
S’il lui faut des Français, Tournély, dont j’ai cité le curieux aveu dans la Monarchie pontificale, lui apprendra qu’on ne les laissait pas écrire. Néanmoins, nous jouissons aujourd’hui du beau traité, laissé manuscrit par Fénelon, et à propos duquel le il. P. Gratry se permet une étourdissante bévue que je vais relever tout à l’heure. Nous avons la collection des Mandements de vingt évêques français contre l’Appel, dans lesquels la science n’éclate pas moins que le courage. Nous avons le Traité de Charlas, publié à Rome où il était exilé pour l’affaire de la légale ; nous avons les écrits de don Petit Didier, et l’Histoire dogmatique du Saint Siége, de Sommier, qui, l’un et l’autre, grâce à l’indépendance. de la Lorraine, trouvèrent encore des presses pour imprimer leurs livres. Nous avons le grand ouvrage du jésuite Du Mesnil, Doctrina el disciplina Ecclesioe, et la savante réplique de don Cartier à la Defensio Declarationis Cleri Gallicani, tous deux auteurs alsaciens, tous deux réduits à imprimer, l’un à Cologne, l’autre., à Wurtzbourg 2 . Chez tous ces Français, le R.P. Gratry peut être sur de ne rencontrer aucune citation des fausses décrétales, mais une belle et bonne patristique qui lui donnera de l’exercice. Il me permettra, en finissant cette énumération de docteurs ultramontains, de lui signaler comme un contemporain dont il ne viendra pas aisément à bout, le savant P. Schrader, qui a su conduire sa vaste thèse de Unitale Romana, sans avoir besoin d’alléguer aucun apocryphe.
Le R.P. Gratry s’est donc joué de son public, à moins qu’il n’ait été trompé luimême, en nous jetant à ]ai tète trois noms qui, d’ailleurs, ont, une haute respectabilité, et en affirmant, sans en rien savoir, que tous les autres défenseurs des doctrines romaines se sont pareillement appuyés sur des textes apocryphes. Qu’il prenne la peine de parcourir les vingt auteurs que je viens du lui citer, il y trouvera des certaines de textes puisés dans l’antiquité ecclésiastique ; s’il en rencontre un seul qui soit apocryphe, je lui permets de tout récuser.
Mais pour opérer un pareil contrôle, le R.P. Gratry estil de force ? On n’improvise pas la science patristique, je l’en préviens. Il faut l’avoir commencée de bonne heure et l’avoir suivie : j’oserai lui dire qu’il s’y met un peu tard. L’école d’opposition à laquelle il appartient a malheureusement fait, ses preuves, à commencer par lui. S’imaginetil, par exemple, que nous le croirons familier avec saint Grégoire de Nazianze, lorsque nous le voyons nommer ce saint docteur Grégoire de Naziance, lorsque ce mot ridicule, Naziance, revient jusqu’à trois fois dans la même page 3 .Il serait illusoire de mettre cette grotesque désignation sur le compte du compositeur, quid il est patent ; d’ailleurs, que les œuvres du grand évêque n’ont pas été feuilletées sérieusement par le R.P. Gratry.
En veuton la preuve ? la voici. Il nous cite en triomphe ces paroles du grand docteur : » Constantinople, c’est l’œil du monde, le nœud de l’Occident et de l’Orient. C’est ici que de tous côtés » accourt, et que se rencontre tout ce qu’il y a de » grand ; c’est d’ici que tout part et se répand, comme de l’Emporium commun de la foi 4 . »
Voici maintenant l’induction que le R.P. Gratry tire de ce passage : « Avouons, dit-il, que si saint Grégoire de Naziance, le théologien, avait dit de Rome ces paroles, au lieu de les appliquer à Constantinople, elles seraient devenues l’une des bases théologiques de l’infaillibilité 4 »
Le R.P. Gratry, dans ces étonnantes paroles, fait assez voir combien saint Grégoire de Naziance lui est peu familier ; autrement, puisqu’il tient à montrer l’estime que le saint docteur faisait de l’Eglise de Constantinople, au lieu d’aller prendre un mot de compliment à cette ville dans les adieux du grand évêque, il aurait présents à la mémoire les beaux vers dans lesquels faisant le parallèle des deux Romes sous le rapport de l’orthodoxie, saint Grégoire atteste que la fixité dans la foi est la prérogative de l’ancienne et non de la nouvelle. Je citerai de nouveau ce beau texte, sans obliger le R.P. Gratry de l’aller chercher dans la Monarchie pontificale.
« La nature n’a pas produit deux soleils, mais elle » a produit deux Romes, toutes deux flambeaux de » l’univers : puissance ancienne et puissance nouvelle, n’ayant entre elles d’autre dissemblance, si ce n’est que l’une luit sur l’Orient et l’autre sur l’Occident ; mais la beauté de l’une s’élève à la beauté de l’autre. Quant à ce qui est de la foi, l’ancienne Rome, dès le principe comme aujourd’hui, poursuit heureusement sa course, et elle tient l’Occident tout entier dans les liens de la doctrine qui » sauve. Il est juste, en effet, que celle qui préside au Monde entier, honore, dans son intégrité, l’harmonie qui règne dans la divine essence 5
Le R.P. Gratry peut voir que, dans la pensée de saint Grégoire de Nazianze, l’ancienne Home nonseulement présidait au inonde entier par la religion, mais qu’elle jouissait depuis le commencement du christianisme de la prérogative d’une foi sans tache ; que, par elle, l’Occident, plus heureux ;que l’Orient, conservait la vraie doctrine sur la Trinité des personnes divines tandis que l’Église de Constantinople venait de sombrer dans l’hérésie en la personne de son patriarche Macédonius.
Pour avoir le droit de parler, comme il le fait, des Pères, il serait bon de les avoir lus, et le R.P. Gratry prête trop à rire lorsqu’il s’en vient dire à Mgr de Malines : Eh bien, Monseigneur, il faut dire que parmi les grands noms de la théologie, vous n’avez en votre faveur aucune :autorité grecque ou latine., dans les cinq ou six premiers siècles, et aucune autorité grecque en aucun temps 6 .
Qu’en sait-il, d’abord ? Ensuite, s’imagine-t-il qu’en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles, il arrivera à voir ou à entendre quelque chose ? La grande voix de la tradition sur l’infaillibilité du Pape n’est nulle part plus éclatante que dans les cinq et six premiers siècles. Je suis loin d’en avoir donné l’idée complète dans la Monarchie pontificale. Il fallait se borner ; mais, pour tout esprit sérieux, il y en a suffisamment , et la plupart des décisions doctrinales rendues par l’Église sont loin d’être appuyées sur un pareil nombre de témoignages de l’antiquité.
Au point où sont arrivées les choses, en face de tous les moyens que l’on emploie pour empêcher la proclamation d’une vérité révélée, le moment est venu de sonder la valeur des adversaires, d’examiner ce qu’ils valent au point de vue de la science, ceux qui veulent mettre obstacle au vœu des croyants : de se demander s’ils sont en mesure de constater que la doctrine, qu’ils veulent empêcher d’arriver au rang des dogmes de la foi, possède ou ne possède pas les caractères d’une vérité définissable ; en un mot, quelle est, chez eux, la connaissance de l’antiquité ecclésiastique ? Là est la question.
Nous voici en train de scruter le R.P. Gratry pour la seconde fois, et n’avons n’avons pas fini dans un moment si grave on peut bien aussi se demander quelle est en fait de patristique la valeur de Mgr d’Orléans. Mgr d’Orléans a assumé de luimême une situation qui autorise tout enfant de l’église à s’informer des garanties personnelles qu’il offre eu fait de science ecclésiastique. Dans sa réponse à Mgr de Malines, il en appelle à l’histoire de l’Eglise qu’il se vante de posséder à fond. J’ai montré ailleurs comment l’église enseignée est en droit de se préoccuper du sort de la foi commune, en retour de la soumission qu’elle devra aux sentences synodales. Nous n’avons point oublié et nous n’oublierons pas l’exemple des fidèles d’Éphèse, lors du troisième Concile. Il s’agit dans le Concile du Vatican, de constater la tradition des Pères sur l’autorité doctrinale des jugement. du pontife romain. Or, peuton reconnaître une science assurée de l’antiquité ecclésiastique dans le de la célèbre Hypatie l’institutrice de Clément d’Alexandrie , qui propose cette païenne à l’imitation des dames chrétiennes, et inscrit son nom en tète de ceux de sainte Paule, de sainte Radegonde, de sainte Gertrude, de sainte Hildegarde, de sainte Catherine de Sienne, de sainte Thérèse ; qui, par un anachronisme saris nom , transporte au deuxième siècle la docte platonicienne du cinquième, ou fait vivre le savant prêtre Clément deux cents ans après sa mort 7 ? Hypatie appartient à l’école du syncrétisme alexandrin, qui ne se forma qu’au troisième siècle, et dont elle fut la dernière et brillante représentation ; Clément reflète dans ses écrits l’époque la plus primitive de l’Eglise ; on le sent antérieur à Origène aussi bien qu’à Plotin ; c’est à se demander si Mgr d’Orléans en a jamais lu une page ?
Franchement, on a mauvaise grâce de reprocher aux autres l’emploi malheureux de quelques apocryphes, quand on agit soimême si librement avec la chronologie, et que l’on va jusqu’à recommander, à l’imitation des chrétiennes de notre temps, une femme que son orgueil retint dans les ténèbres du platonisme alexandrin, à une époque où avait déjà lui sur l’Orient le flambeau sublime d’un Athanase, d’un page , d’un Grégoire de Nazianze. Lorsque cette page d’un homme si vanté pour toute sorte de mérites, me passa sous les yeux en 1861, le livre m’échappa des mains. J’éprouvai, je l’avoue, un sentiment de confusion ; mais je pensai qu’il valait mieux couvrir du silence une maladresse qui révélait par trop l’inanité du fond. Si plus tard j’en ai parlé, sans toutefois désigner de nom propre, dans la Monarchie pontificale , c’est que l’on avait commencé l’agression, en colportant l’écrit français du docteur Doellinger, dans lequel l’accusation formelle d’ignorance de la tradition est audacieusement portée contre les défenseurs de l’infaillibilité romaine. Depuis , nous avons vu Orléans servir de centre à la propagande des Lettres du R.P. Gratry auprès du clergé français, pour lui apprendre que l’Eglise romaine, notre mère, est coupable de falsifications et d’infamies, et que la croyance à l’infaillibilité papale ne repose que sur l’affirmation d’auteurs trompés ou trompeurs. Il est temps de se regarder en face, et de peser une bonne fois la valeur de ces noms retentissants qui passionnent la curiosité publique, en excitant la sympathie des ennemis de l’Eglise et la douleur de ses enfants.
Lorsque dernièrement, en rappelant cette incroyable transformation d’une païenne en chrétienne, j’ajoutais que l’auteur aurait du savoir que le nom d’Hypatie avait été, depuis Voltaire, cent fois jeté aux chrétiens comme une insulte, je ne prévoyais pas que M. Amédée Thierry était à la veille de ressusciter l’indigne accusation portée à ce sujet contre saint Cyrille d’Alexandre. Dans la livraison du 1er février de la Revue des Deux Mondes, en terminant son remarquable travail sur la lutte de saint Jean Chrysostome et d’Eudoxie, cet historien, à qui l’on n’avait pu reprocher qu’une sévérité outrée à l’égard du grand évêque, auquel il prodigue d’ailleurs son admiration, arrive à mettre en scène Hypatie, et attribue à son tour le meurtre de cette femme célèbre à la jalousie de saint Cyrille. L’accusation est grave ; heureusement elle est sans l’ombre d’une preuve et sans l’appui d’aucun témoignage contemporain. D’autre part, elle ne se soutient pas en présence du caractère connu d’un si grand évêque, sur lequel M. Amédée Thierry a trop écouté ses préventions. Ce n’est pas ici le lieu de répondre ; mais il est à croire que Mgr d’Orléans aura à se donner beaucoup de peine pour faire accepter à M. Amédée Thierry l’alibi dont il veut favoriser Hypatie , en la faisant vivre deux siècles avant sa naissance. De tout ceci je ne tire qu’une seule conclusion : c’est que les adversaires de la définition de l’infaillibilité du Pape, avant de faire peser sur nous le reproche d’ignorer l’antiquité ecclésiastique, ont encore beaucoup à faire pour en acquérir euxmêmes la connaissance. En ce moment, ils nous obligent à le leur dire. Vos me coegistis. Revenons au R.P. Gratry.
Sa deuxième Lettre contient de curieux essais de patristique dont il importe d’approfondir la puissance. Nous avons vu cidessus qu’il n’a pas été heureux dans son emprunt à saint Grégoire de Nazianze en faveur de Constantinople ; voyons s’il aurait mieux réussi à enlever à l’Eglise romaine le bénéfice du témoignage que saint Irénée rend à l’autorité dont elle ,jouit dans les questions de la foi.
Dans son troisième Livre Adversus hoereses, le saint évêque de Lyon, voulant indiquer le moyen de discerner la véritable doctrine apostolique d’avec les hérésies qui avaient cours, enseigne que l’on doit consulter les Églises fondées par les apôtres euxmêmes, parce que l’on peut être assuré d’y trouver intact l’enseignement primitif ; mais, ajoute til, comme cette investigation serait longue à faire, on peut se borner à consulter l’Église romaine, la plus grande, la plus ancienne et connue de tous, ayant été fondée et établie par les deux glorieux apôtres Pierre et Paul. Puis il ajoute ces paroles célèbres : » Ad hanc enim Ecclesiam propter po.tioretr : principalitatem niecesse est convenire onlnenr Ecclesiam, » hoc est, eos qui sunt utidique fideles ; in qua semper ab his qui sunt undique conservata est ea quae est ab apostolis traditio.
Voyons d’abord la traduction de ce texte par Bossuet. Le R.P. Gratry n’ignore sans doute pas que nul n’a jamais surpassé l’évêque de Meaux dans l’art de traduire ; en outre, il était de l’Académie française. Voici donc comment il rend les paroles de saint Irénée
C’est avec cette Église que toutes les Églises doivent » s’accorder, à cause de sa principale et excellente » principauté, et c’est en elle que ces mêmes fidèles, » répandus par toute la terre, ont conservé la tradition qui vient des apôtres 8 »
Voici maintenant la traduction du R.P. Gratry
» C’est en cette Eglise, à cause de son éminente » principauté, que vient se réunir nécessairement toute » l’ Église, c’estàdire les fidèles qui sont en tous lieux, » et c’est en elle que tous ceux qui sont en tous lieux a maintiennent toujours la tradition qui leur vient des apôtres 9 .
A qui devonsnous croire, de Bossuet ou du R.P. Gratry ? Dans la traduction de Bossuet, qui a pour elle le sens grammatical, la stricte logique est appliquée. Si, selon saint Irenée, on peut se dispenser de consulter en détail toutes les Églises apostoliques, par la raison que celle de Rome est non seulement la plus grande et la plus ancienne, mais parce qu’elle exerce la principauté, quoi d’étonnant que les autres Églises soient tenues de s’accorder avec elle dans la foi ? Quoi d’étonnant que ce soit par l’adhésion des autres Églises à cette Église maîtresse que la foi se soit conservée ? Quiconque, dit Fénelon à propos de ce a texte, quiconque ne s’accorde pas avec l’Église principale est confondu sans discussion ; il est confondu vaincu de nouveauté ; il s’écarte du centre immobile tt auquel toutes les lignes doivent aboutir pour garder . l’unité de la foi 10 .
Ainsi l’interprétait l’Assemblée du clergé de France, tenue à :Melun en 1579, quand elle décrétait, au milieu des divisions religieuses de cette époque, que les évêques et leurs vicaires devront exiger de tous, clercs et laïques, a la profession ou verte de la foi que a professe et conserve religieusement la sainte Église romaine, maîtresse, colonne et soutien de la vérité ; car c’est avec elle, à cause de sa principauté, qu’il a faut que toute Eglise s’accorde 11
Ainsi l’ont toujours entendu les évêques de France, Bossuet et Fénelon en tête. L’énumération se fait trop longue ; qu’il suffise de rappeler ici les Mandements contre l’Appel. On y trouve sans cesse invoqué ce précieux texte d’un évêque du deuxième siècle, qui sera l’éternel désespoir des adversaires de la foi romaine. Entre tous ces prélats qui s’unissent pour le commenter et en faire sortir la vraie notion de la monarchie pontificale, je citerai les cardinaux de Bissy et de Mailly, Languet de Sens, Saint Albin de Cambrai, Belzunce de Marseille, et une foule d’autres dont les catholiques recueillirent en volume les fortes et éloquentes lettres pastorales. Mais il est intéressant de remarquer que, longtemps avant cette époque, le savant Pierre de Marca, dans son livre de Concordia sacerdotii vel imperii, livre peu suspect à nos adversaires, puisqu’il figure sur le catalogue de l’Index, entendait le texte Irénéen dans le même sens que Bossuet l’expliqua plus tard. Voici les paroles de cet archevêque de Toulouse et de Paris . Cette obligation de la communion avec l’Eglise romaine, devoir .auquel la France est astreinte comme les autres provinces, le très ancien évêque de Lyon, Irénée ,l’a reconnue avant tous les autres, en écrivant le premier ce qui était le sentiment de tous : Il est nécessaire, ditil, que toute Église s’accorde avec l’Église romaine, à cause de sa plus puissante principauté ; comme s’il disait, selon la plus stricte interprétation de ces paroles, que la force d’unité, qui tire son principe et son origine du siége du Pierre, est telle qu’elle impose aux autres la nécessité de A penser avec elle 12
C’est en vain que le R.P. Gratry cherche à atténuer et à modifier le sens de la phrase, en transformant l’obligation pour chaque Église de s’accorder avec celle de Rome, en un simple fait nécessaire. La logique a ses droits, d’autant que saint Irénée allègue comme motif de cet accord une principauté unique et spéciale qui naturellement assujettit ceux sur lesquels elle s’exerce. De même encore se faitil allusion dans la seconde partie du texte, lorsqu’au lieu de convenir avec saint Irénée que c’est en adhérant à la foi de l’Église romaine, que les fidèles du monde entier conservent la doctrine des apôtres, il lui plait de traduire due ce sont les fidèles qui maintiennent leur propre tradition dans l’Église romaine. Grammaticalement cette., version n’est pas soutenable, en face de, celle de Bossuet et de tout le monde ; mais logiquement, elle ne l’est pas davantage. Saint Irénée enseigne que l’on peut se dispenser de consulter toutes les églises d’origine apostolique, pourvu que l’on s’en rapporte à l’Église romaine fondée par saint Pierre et par saint Paul, et exerçant une éminente principauté dans le christianisme ; si ce sont les fidèles du monde entier qui maintiennent la vraie doctrine dans l’église romaine, il est illogique de prétendre qu’ils aient à la consulter sur la foi qu’ils devront garder.
On n’ignore pas que cette étrange manière de se débarrasser de saint Irénée a souri à M. le prévôt Doellinger ; mais on sait aussi qu’il l’a empruntée des protestants que ce texte incommode beaucoup. Grabe et Néander sont les inventeurs du système ; il faut leur en laisser l’honneur. Quant au R.P. Gratry, il s’est pris d’une belle passion pour les Églises apostoliques qui ne sont pas celle de Rome. Il nous apprend, ce que nous savions déjà , que les anciens mettaient une grande importance à la tradition de ces Eglises. Il est vrai que, dans la suite, elles sont toutes tombes dans l’hérésie les unes après les autres mais il fut un temps ou elles pouvaient servir de règle. A cette époque néanmoins, saint Irénée enseignait que la tradition romaine, pouvait toutes les suppléer, et qu’en tout cas, elles devaient, pour être Églises chrétiennes, se tenir d’accord sur la foi avec l’Église de Rome. Honneur donc à ces antiques Églises, tant que leurs sièges n’ont pas été souillés par des prélats hérétiques ! Elles furent de glorieux membres ; mais elles étaient périssables et elles ont péri ; seule. l’église romaine a survécu, et dans la pureté de sa foi, et dans la puissance de sa principauté.
Tout le monde comprendra que le beau texte de saint Irénée soit désagréable aux gallicans, comme il l’est aux protestants, et que les uns et les autres se sentent peu portés à l’interpréter avec la largeur de Bossuet. Il est dur de se trouver en face d’un si ferme témoignage rendu par un évêque martyr du deuxième siècle, dans l’enseignement duquel se résume la tradition des Églises asiatiques formées par saint Jean, et celle des Églises de la Gaule , filles du Siége. de Rome ; surtout si la conséquence logique d’un tel passage est directement l’infaillibilité du Pontife romain. C’est cette conséquence que déduit très doctement Mgr Freppel, dans son beau livre sur saint Irénée.
» Ici, nous ditil, je ne crains pas d’user de répétitions . afin d’expliquer clairement tout ce que renferme le passage de saint Irénée. Là où est l’église, là est l’esprit de Dieu, et avec lui la vérité : ce qui revient à dire que l’église, assistée de l’Esprit Saint, est préservée par là de toute erreur dans son enseignement, ou qu’elle est infaillible. Tel est le grand principe que pose ailleurs l’évêque de Lyon. Or, dit il, dans l’endroit que nous examinons, » il faut que » les fidèles de tous les pays conviennent dans la foi » avec l’église de Rome, à cause de sa primauté :il est donc de toute nécessité que la foi se conserve pure et inaltérable dans l’église romaine, autrement tous les fidèles seraient obligés à s’accorder avec l’erreur, et c’en serait lait du principe de saint Irénée ou de l’infaillibilité de l’Eglise.
» Mais quel est le gardien et le dépositaire de la foi dans l’église romaine ? » C’est l’évêque, répond saint Irénée. » Conséquemment le dépôt de la foi ne peut ni se perdre ni s’altérer entre les mains de l’évêque de Rome ; sinon , il serait perdu ou altéré pour l’église romaine qui le reçoit de son chef, et, par suite, pour toutes les autres Eglises dont le devoir indispensable est de s’accorder avec celle de Rome. L’infaillibilité doctrinale du Pontife romain assure l’indéfectibilité du Siége apostolique, et, par là, celle de l’église universelle : c’est la clef de voûte qui soutient et couronne tout l’édifice chrétien. Voilà pourquoi, après avoir affirmé la primauté de l’église romaine, la nécessité d’un accord unanime des autres Eglises avec elle, le privilège qu’elle possède de conserver toujours saine et intacte la tradition des apôtres, le docteur catholique du deuxième siècle nomme l’un après l’autre les douze évêques de Rome qui se sont succédés depuis saint Pierre, et résume toute son argumentation par ces paroles que je ne me lasse pas de répéter : » C’est dans cet ordre et par cette succession des évêques de Rome qu’est arrivée jusqu’à » nous la tradition des apôtres dans l’église et la » prédication de la vérité. Par là nous démontrons pleinement que la foi conservée jusqu’à nos jours et transmise en toute vérité, est la foi une et vivifiante confiée à l’église par les apôtres 13
La mauvaise humeur que le R.P. Gratry manifeste à l’occasion contre le Bréviaire romain, éclate de nouveau à propos de saint Irénée .Mais il fait encore ici une méprise. Le Bréviaire romain ne contient pas plus l’office de saint Irénée que celui de saint Agathon. L’œil du R.P. Gratry est tombé sur un office local, et tout son mécontentement est en pure perte. .Au reste, ce mécontentement est déraisonnable de tout point. Le grief contre la légende consiste en ce qu’elle ne donne pets en entier le passage de saint Irénée, et qu’elle se bonze à citer l’endroit où il dit que toute I’église doit se ternir d’accord avec l’église romaine ,à cause de sa puissante principauté. Franchement, on ne peut pas exiger que la légende d’un office renferme tout ce qu’il serait possible d’y insérer car, enfin, cette légende a ses limites, et. il y avait beaucoup à raconter sur saint Irénée. En reproduisait les paroles que je viens de citer, cet abrégé donne ce qu’il y a de capital dans le passage, et Bossuet luimême, dans le Sermon sur l’Unité de l’église, ne parle pas noir plus des Eglises apostoliques dont le R.P. Gratry reproche à la légende de n’avoir pas fait mention.
De saint Irénée le P. Gratry passe à Origène, et on ne s’imaginerait pas en quel but. Dans un passage de ses Homélies sur saint Matthieu, le docteur professeur de l’école chrétienne d’Alexandrie, selon l’usage qui lui est familier, cherche à tirer un enseignement moral de la lettre de l’Écriture. On sait combien cette exécution trop mystique a été funeste à son génie ; car une partie de ses erreurs n’a pas eu d’autre source, Or donc , Origène suspendant un moment la réalité évangélique profite de l’occasion pour relever dans le chrétien l’estime des faveurs que Dieu a faites par Jésus Christ à l’homme régénéré,. C’est pour avoir confessé la divinité du Sauveur, que l’apôtre il reçu le titre de Pierre, qui l’associe à JésusChrist en lui communiquant un de ses titres. Nous donc, qui confessons aussi la divinité de Jésus, nous devenons Pierre à notre tour ; tous les apôtres étaient Pierre en ce sens ; » enfin, conclut Origène, tout ce qui est dit à Pierre est dit à tous ceux qui confessent Jésus Christ comme Pierre. »
Il faut être aussi étranger à la lecture, des Pères que l’est le R.P. Gratry pour citer triomphalement, comme il le fait, ces paroles de l’éloquent Alexandrin. Une des premières règles de la patristique consiste à discerner les passages dans lesquels les Pères ont cherché simplement l’édification du peuple par des sens moraux, de ceux ou ils ont exposé le dogme qui est l’objet de la foi. S’il leur arrive, plus ou moins souvent, de rechercher ces sortes d’interprétations pratiques, afin d’entretenir une pieuse émulation dans leur auditoire, on aurait tort de croire qu’ils fléchissent sur l’objet précis de la croyance. C’est ainsi qu’on les entend répéter que tout chrétien est le Christ, parce que le Christ renferme en lui le type complet de la vie du chrétien ; diraton pour cela qu’ils ne reconnaissent pas la réalité incommunicable de l’Homme Dieu ? Ils veulent seulement, par cette sorte d’appropriation mystique, élever la pensée des fidèles à une région supérieure, et les porter à s’incorporer dans la pratique, ce qui fait l’objet de leur foi. Que cette méthode ait ses inconvénients, si on l’exagère, je n’en disconviendrai pas ; mais pour peu que l’on soit familier avec l’antiquité ecclésiastique, on l’y a rencontrée mille fois, et dans Origène, comme je l’ai dit, plus qu’ailleurs. On peut, si l’on veut, s’en édifier, mais il ne serait pas toujours sûr d’appuyer une thèse sérieuse sur ces passages où la subtilité, et l’arbitraire peuvent se rencontrer quelquefois 14 .
Les protestants ont insisté beaucoup sur ces textes, dans lesquels les saints docteurs semblent s’écarter de la réalité pour diriger leur enseignement vers le côté parénétique ; et, il faut bien l’avouer, le R.P. Gratry, par cette citation inconsidérée, se donne l’air d’abonder dans leur sens. Dans son désir de combattre l’infaillibilité du Pape qu’il a soutenue autrefois, il dépasse le but sans s’en apercevoir ; car si saint Pierre n’a rien reçu de plus que les autres apôtres, de plus que les autres chrétiens qui confessent la divinité de JésusChrist, il est inutile de s’inquiéter de savoir si le Pape est infaillible ; il n’y a plus même de Pape. Au reste, le R.P. Gratry semble avoir conscience de la fausse route où il s’engage ; car à la suite, de la citation, il ajoute avec une parfaite désinvolture : » Je ne discute nullement ici cette doctrine d’Origène. Origène s’est trompé souvent 15 . » Alors, en quel but mettezvous cet auteur en avant, si vous convenez vousmême qu’il n’est pas sûr ? Je dis seulement, répond le R.P. Gratry, que cette doctrine est la thèse contraire à la thèse de l’infaillibilité personnelle, et de tout privilège exclusif pour saint Pierre 16 . Assurément, rien de plus contraire à la thèse de l’infaillibilité du Pape, qu’urne doctrine qui nous enseigne que le Pape n’existe pas, puisque désormais tous les chrétiens sont papes. Si saint Pierre n’a pas reçu de privilège exclusif, il n’est dès lors que ce que sont les autres. Qu’a donc prouvé le R.P. Gratry ? Une seule chose, et la voici : c’est que, si l’on est protestant, on n’a point à s’inquiéter de l’infaillibilité ou de la noninfaillibilité du Pape. Tout le monde sera parfaitement d’accord avec lui.
Mais il importe de ne pas laisser Origène dans un si mauvais pas. Il en est de lui comme des autres anciens dont abusent les hérétiques. La justice fait un devoir de rechercher s’il n’aurait pas ailleurs exprimé la pensée orthodoxe, et pour le justifier, il n’est pas nécessaire d’aller bien loin. A la suite même des paroles citées par le R.P. Gratry, Origène fait trêve aux subtilités excessives de son enseignement moral, et tourne court pour rentrer dans le dogme proprement dit. Le voici redevenu commentateur littéral du texte de saint Mathieu. Sa spéculation se dirige théologiquement sur cette question : Quand le Seigneur a dit que les portes de l’enfer ne prévaudraient pas contre elle, estce de la Pierre, estce de l’Église due doit s’entendre ce pronom elle ? On le voit, Origène est rentré dans la question d’exégèse, et là il en vaut un autre. Il ne s’agit plus de savoir si tout chrétien est Pierre ; Origène n’a plus devant, les yeux que l’apôtre Pierre et l’Église fondée sur lui. Il expose donc le problème grammatical, et conclut avec éloquence que les portes de l’enfer ne prévaudront ni contre l’Église, ni contre la Pierre. Voici ce beau passage si concluant pour l’infaillibilité des Pontifes romains. dont toute la succession est contenue dans la personne de Pierre , fondement impérissable de l’Eglise. Je transcris ici la traduction que j’en ai donnée dans la Monarchie pontificale.
» Ce mot elle, à qui se rapportetil ? Estce à la » Pierre sur laquelle le Christ bâtit l’Église ? estce à l’Église ellemême ! La phrase est ambiguë. En faut il conclure que la Pierre et ; l’Église sont une seule et même chose ? Voici pour moi le vrai sens : c’est tt que les portes de l’enfer ne prévaudront ni contre la Pierre sur laquelle le Christ bâtit son Eglise, ni contre l’église ellemême. C’est ainsi qu’il est écrit dans les Proverbes, que le chemin du serpent ne laisse pas de trace sur la pierre. Si donc les portes de l’enfer prévalent contre quelqu’un, ce ne sera ni contre la Pierre sur laquelle le Christ bâtit son Eglise, ni contre l’Église bâtie par le Christ sur la Pierre. La Pierre est inaccessible au serpent. ; elle est plus forte que les portes de l’enfer qui lui déclarent la guerre ; et c’est à cause de sa force même que cellesci ne prévalent pas contre elle. Quant à » l’église, édifice du Christ qui a bâti avec sagesse » sa maison sur la Pierre, elle n’a rien à craindre des portes de l’enfer. Elles n’ont de force que contre l’homme qui se trouve hors de la Pierre, et hors de l’Église, à l’égard de laquelle elles sont impuissantes 17 .
Voyons maintenant un nouvel essai de patristique auquel s’abandonne le R.P. Gratry sur saint Augustin. Les notes qui lui ont été fournies lui ont encore joué ici un mauvais tour. Il va sans dire que, de mène que le passage d’Origine sur l’application de Tu es Petrus à tous les apôtres et à tous les chrétiens est une vielle monture huguenotte qui a fait soit temps, de même, aussi les textes de l’évêque d’Hippone, que cite le R.P. Gratry, traînent depuis plus de deux siècles dans toits les livres gallicans. Ils ont de plus, ainsi que je vais le montrer, l’inconvénient de ne pas venir ad rem.
Le R.P. Gratry débute par donner une leçon à Mgr de Malines, qui ayant voulu rappeler le mot célèbre de saint Augustin, après l’approbation des conciles de Carthage et de Milève contre le pélagianisme a traduit la pensée du saint docteur par ces mots : Roma locuta est, causa finita est. » Saint Augustin, dit le R.P. Gratry avec un ton superbe, saint Augustin n’a jamais dit cela 18 .
Pardon, mon révérend Père ; saint Augustin n’a pas dit ces mots, mais il a dit cela. Au reste, vous en convenez vousmême, car vous citez le texte. Saint Augustin a dit : » Les deux conciles ont été envoyés au Siège apostolique ; les rescrits nous en sont arrivés : la cause est finie. Inde etiam rescripta venerunt : causa finita est. Le R.P. Gratry voudraitil bien moins dire quelle est l’Église qui parlait dans ces rescrits, et dont la parole a suffi pour finir la cause ? Etaitce par hasard l’Église de Constantinople, ou celle d’Alexandrie ? Non, c’était l’Église de Rome. Elle venait de parler par saint Innocent Ier. Quand Rome a parlé, il semble que l’on peut dire, en latin : Roma locuta est. Mgr de Malines. s’attachait plutôt au sens qu’aux mots d’un texte connu de tout le monde. le respect envers un prélat si vénéré aurait dû retenir le R.P. Gratry, et lui interdire cette critique par trop déplacée. Ce qu’il faudrait effacer pour tirer le gallicanisme de ce moment critique, c’est le causa finita est ; mais il n’y a pas moyen. Toutes les éditions de saint Augustin sont d’accord sans la moindre variante, et maintes fois, dans ses écrits contre les pélagiens, le saint docteur se félicite de l’heureuse fin que la décision du Siège apostolique est venue apporter à cette grande cause.
Mais voici bien autre chose. Le R.P. Gratry se croit en mesure de nous démontrer que saint Augustin était gallican. En tout cas, il ne l’était pas le jour où il a dit causa finita est. N’importe, écoutons les arguments du R.P. Gratry. Dans sa polémique contre les donatistes qui ajoutaient à leur schisme la fausse doctrine de la réitération du baptême, saint Augustin publia en l’an 400 ses sept livres de Baptismo contra Donatistas .Or, ces hérétiques n’admettaient pas l’autorité du Siège apostolique, avec lequel ils avaient rompu depuis près d’un siècle. L’argumentation du saint docteur devait donc naturellement se retrancher dans la notion générale de l’Eglise, s’il voulait établir la discussion sur un terrain commun. Le fait de saint Cyprien qui s’était déclaré, au troisième siècle, pour la rebaptisation des hérétiques, devait nécessairement se reproduire dans la controverse, et le :, donatistes y cherchaient un appui pour leur erreur. Saint Augustin prenant la défense de l’évêque de Carthage, expose la difficulté que semble présenter au premier abord la doctrine orthodoxe sur cette matière. Comment le baptême du Christ peutil être administré par ceux qui sont en dehors du Christ ? Comment ne se perdil pas en ceux qui se séparent du Christ ? » Nousmême, ajoutetil, nous n’oserions » l’admettre, si nous ne nous sentions fort de l’accord et de l’autorité de l’Église » universelle à laquelle il n’est pas douteux que » saint Cyprien n’eût cédé luimême, si la vérité sur » cette question eût été mise au clair et déclarée de son temps, si elle eût été appuyée sur un concile plénier 19
Donc, conclut le R.P. Gratry avec tous les gallicans, saint Augustin n’admettait pas que la cause eût été finie par l’autorité du Siège apostolique ; mais il pensait que pour trancher la question, il fallait l’autorité d’un concile œcuménique, comme fut celui de Nicée qui, en effet, admit la validité du baptême conféré par les hérétiques, si les conditions du sacrement avaient été observées. Il n’y a qu’un inconvénient à cette interprétation : c’est que les faits n’ont pas eu lieu en la manière que se le figure le R.P. Gary. Dans la contestation de saint Cyprien avec le pape saint Etienne, ce pontife porta aucune décision dogmatique. Il déclara seulement que la rebaptisation que pratiquait saint Cyprien était une innovation contraire à la tradition, et il s’opposa énergiquement à cette conduite nouvelle. Il est contraire à l’histoire de dire que le concile de Nicée procéda en dernière instance dans cette affaire, comme si le Siège apostolique eût rendu une semence provisoire. Le Siège apostolique était entré dans la question seulement au point de vue de la discipline ; saint Cyprien luimême ne la considérait pas autrement, lorsqu’il disait : par notre pratique, nous l’entendons faire violence, ni donner la loi à personne. Plus tard, il finit par s’accorder avec Rome, et avant le concile de Nicée, l’église d’Afrique était rentrée dans la pratique dont elle n’aurait lias dû s’écarter. Que dit donc saint Augustin Une chose bien simple : c’est que si saint Cyprien se fit rendu compte du véritable enseignement de l’église sur le baptême, il n’eût jamais songé à y résister. Cet enseignement dogmatique ressortait des décrets de Nicée ; les donatistes le savaient, et pour justifier leur révolte, ils alléguaient la résistance de saint Cyprien. Saint Augustin veut leur faire voir que la conduite de l’évêque de Carthage, répréhensible, d’ailleurs, avait du moins une excuse dont eux ne pouvaient se prévaloir.
Le R.P. Gratry met en avant un autre passage de saint .Augustin, qui lui semble pareillement démontrer que le saint docteur ne regardait pas l’autorité du Pontife romain comme, suffisante pour appuyer la foi. Voyons un peu ce qu’il en est. Dans le même trinité contre les donatistes, saint Augustin pose divers problèmes au sujet du baptême, entre autres, quelle peut être la validité de ce sacrement, si c’est par feinte qu’il est reçu ou administré ? A quoi le saint docteur répond : » La voie sûre est, ce nous semble, de ne pas avancer dans une pensée téméraire sur des questions qui n’ont été ni entamées dans quelque concile catholique. de province, ni terminées dans aucun concile plénier. Mais ce que nous devons affirmer hautement avec confiance et sécurité, c’est ce qui, sous le gouvernement de notre Dieu et Sauveur JésusChrist, se trouve fortifié par le consentement de l’Eglise universelle 20 .
Et voilà le motif du triomphe du R.P. Gratry ! Franchement, il chante trop tôt victoire. Qui de nous ne pense ici comme saint Augustin Qui de nous n’est convaincu du besoin d’appuyer sa foi sur le consentement de l’Église ? Si nous croyons le Pape infaillible dans ses décisions doctrinales, c’est que nous sommes assurés que ses décisions, ainsi que celles du concile, n’ont pour objet que des vérités confessées déjà par l’Église, et que l’adhésion de l’Église tout entière à sa sentence ne pourrait faire défaut. On n’a jamais vin le Pape d’un côté et l’Église de l’autre ; ce serait la destruction de l’Église ; et le Pape est infaillible, entre autres raisons, parce que quand il prononce sur la foi, l’Eglise n’a jamais manqué et ne peut jamais manquer de le suivre. Le même Esprit Saint qui prononce par le Pontife produit l’adhésion dans le corps de l’Église.
Mais puisque le R.P. Gratry a du goût pour saint Augustin, il me permettra bien de faire avec lui une petite excursion dans les écrits de cet incomparable docteur. Nous allons, s’il lui plan, revenir sur les deux conciles de Carthage et de Milève, au sujet desquels la confirmation du pape saint Innocent le` amena cette grande parole de l’évêque d’Hippone : » Les rescrits du Siège apostolique sont arrivés (où, comme dit Mgr de Malines, Rome a parlé), LA CAUSE EST FINIE. » Voyons un peu si saint Augustin pensait que le jugement d’un concile plénier était encore nécessaire après la sentence romaine. Il a affaire, non plus aux donatistes qui n’admettaient pas l’autorité du SaintSiège, mais aux pélagiens qui la reconnaissaient, et tentèrent même de faire accepter par Rome leur doctrine. Ces hérétiques se plaignent qu’on les condamne en Afrique par la seule autorité de deux conciles de ce pays, auxquels Rome a ajouté le poids de sa confirmation ; ils voudraient ne céder qu’à l’autorité de l’Église tout entière. Les Latins ne leur suffisent pas. Voici comment saint Augustin répond à l’un d’eux, nommé Julien :
» Tu te crois en droit de les mépriser, parce qu’ils . » sont tous de l’Église d’Occident, et que nous n’avons allégué aucun évêque de l’Orient. Qu’y faire ? » Eux sont Grecs, et nous sommes Latins. Il me semble que cette partie du monde devrait te suffire, dans laquelle le Seigneur a voulu couronner d’un très glorieux martyre le premier de ses » apôtres. Que n’écoutaistu le bienheureux Innocent qui préside à cette Eglise ? Tu aurais alors arraché du filet des pélagiens ta jeunesse si exposée » au péril. Que pouvait répondre cet homme saint a aux conciles d’Afrique, sinon la doctrine que de » toute antiquité le Siège apostolique, l’Eglise romaine, professe sans interruption avec les autres » Eglises 21 ?
Voilà le point de la question que le R.P. Gratry n’a pas vu. C’est que le Pontife romain décrétant dans son infaillibilité, n’a jamais enseigné et ne peut enseigner jamais que ce qui est la foi de toutes les Églises. A entendre les gallicans, on croirait que nous reconnaissons au Pape le droit de transformer en dogmes de foi des id ses dont personne n’aurait jamais entendu parler, et qu’il prendrait arbitrairement dans sa fantaisie. Dans toute décision de foi, rendue soit par le Concile, soit par le Pape, il y a toujours accord préalable, au moins chez la majorité des croyants ; et une fois la définition prononcée, il n’y a plus pour les catholiques que la soumission, et ce sous peine d’hérésie. C’est alors qu’apparaît cette unanimité absolue que célébrait saint Augustin dans le passage cité par le R.P. Gratry. L’assentiment sur le point à définir prépare la décision, et la décision produit l’unanimité dans toute l’Eglise. C’est ce qui arriva à la suite des jugements des papes saint Innocent et saint Zozime dans l’affaire du pélagianisme., et saint Augustin avait eu raison de dire :
La cause est finie. »
Mais écoutons encore le saint docteur répondant aux opposants de son temps ; précurseurs de nos gallicans, auxquels ne suffisait pas la sentence apostolique, et qui auraient volontiers réclamé un Concile .œcuménique pour finir la cause. Ainsi donc, leur ditil, il eût fallu réunir le Synode, pour condamner une erreur aussi évidente que funeste ! Comme si l’on ne pouvait condamner aucune hérésie sans rassembler le Synode ; tandis qu’il n’en est qu’un très petit nombre pour la condamnation desquelles cette convocation ait été jugée nécessaire. La plupart oint été improuvées et condamnées sur le lieu même où elles s’étaient élevées, et cela a suffi pour que l’on sût dans le monde entier qu’il fallait s’en garder. Voici que l’orgueil de ceuxci, qui s’élèvent contre Dieu jusqu’à ne pas vouloir se glorifier en lui, mais bien dans leur volonté propre, leur fait ambitionner de voir l’Orient et l’Occident réunis en Synode à cause d’eux. N’ayant pu pervertir l’univers catholique, parce que le Seigneur a leur a résisté, ils s’efforcent du moins de l’agiter, tandis que ces loups, après le jugement suffisant et Compétent qui a été porté sur eux, n’ont plies désormais qu’à être écrasés par la vigilance et la diligence , pastorale, partout où ils se montreront encore 22
Je ne sais si le P. Gratry me saura gré de lui citer ces énergiques paroles de saint Augustin contre ceux auxquels le jugement doctrinal du Siège apostolique ne suffit pas ; mais qu’il ne s’en prenne qu’à lui même. Il lui a plu de critiquer le Roma locuta est de Mgr de Malines ; on a bien droit, en retour, de lui faire voir quelle .est la portée du causa, finita est dans la pensée de saint Augustin. Cela prouve une fois de plus que l’ultramontanisme est. ancien, et qu’il reste peu d’espoir à ceux qui ont résolu d’en finir avec lui. On s’étonne toujours qu’ils ne voient pas que de plus forts et de plus habiles qu’eux y ont perdu leur peine.
En attendant, je fais instance auprès du R.P. Gratry pour qu’il veuille bien donner place à saint Augustin dans l’école d’erreur, si vivement signalée par la seconde Lettre aussi bien que par la première. Le saint docteur vient de faire ses preuves dans les deux passages cités tout à l’heure. Il y gourmande assez fort ceux qui rêvent le Concile œcuménique, et ne se contentent pas de la décision apostolique, pour mériter d’être inscrit en tête des plus fougueux ultramontains.
Mais puisque nous en sommes sur cette redoutable école, il est naturel de profiter de l’occasion pour avertir le R.P. Gratry des dangers que lui fait courir l’ardeur trop fébrile avec laquelle il la poursuit. Croirait on qu’il s’est avisé d’aller chercher dans Fénelon de nouvelles invectives contre cette école, objet de toute son horreur ? A quel propos Fénelon se fûtil emporta contre les partisans d’une doctrine qui fut la sienne ? on ne se le figure pas. Quoi qu’il en soit, le R.P. Gratry revient de son excursion avec cette phrase qu’il jette à la tête de ses adversaires, au nom de l’archevêque de Cambrai. » Rien de sage ne leur plait, » dit Fénelon. Toute mesure leur est en mépris. » Rien d’énorme et d’extravagant qui ne .les charme. » Rien d’excessif qu’ils n’aient l’audace de soutenir. Je les redoute plus pour l’Eglise que les sectes des hérétiques 23 .
Mais mon révérend Père, de qui parle donc ici Fénelon ? êtes vous bien sur qu’il désigne ici. l’école ultramontaine ? N’auriezvous pas fait confusion ? Pour s’assurer de l’intention des paroles recourons au texte : le voici dans son intégralité. C’est le début du traité de Fénelon : De summi Pontificis auctoritate.
» Vous me demandez ce que je pense de l’autorité des souverains Pontifes. Ma réponse est toute prête. Le sentiment que j’embrasse est tellement celui du milieu que ,je ne désespérerais pas de concilier, au moyen du tempérament que je propose, vos docteurs transalpins avec nos cisalpins. Mais je ne vais pas jusqu’i espérer voir descendre les critiques à mon avis Rien ne leur plait Toute mesure leur est en mépris. Rien, d’énorme et d’extravagant qui ne les charme. Rien d’excessif qu’ils n’aient l’audace de soutenir. .te les redoute plus pour l’Eglise que les sectes des hérétiques ; car, étant couverts encore du nom de catholiques comme d’un masque, ils se maintiennent impunément dans l’enceinte de l’Eglise. C’est à eux que j’ai souvent entendu dire que la qualité de capitale du monde païen, dans l’ancienne Rome, était le moyen par lequel les Pontifes romains avaient usurpé leur primauté sur la république chrétienne, et que le vulgaire crédule avait accepté, avec un culte superstitieux, l’ambitieuse invasion d’une si haute dignité comme une institution du Christ lui même. Tout autre que moi petit espérer les convertir ; pour moi, je n’ai pas cette confiance. Je ne m’adresse ici qu’à ceux qui, ayant l’amour de la paix et de l’unité, confessent que c’est par l’institution même du Christ que le Siège apostolique est l’éternel fondement, le chef et le centre de l’Eglise catholique 24 .
On le voit, la distraction est forte. Le R.P. Gratry a pris pour des ultramontains ces critiques que Fénelon désigne ici et qu’il poursuit dans tout le cours de son Iivre ; et ces critiques sont tout simplement les gallicans de l’école d’Ellies Dupin et autres, dont l’audace prêta un si puissant secours au parti de l’Appel au futur Concile. Une telle méprise, que le caractère bien connu du R.P. Gratry oblige de mettre sur le compte de la bonne foi, n’eu. restera pas moins dans l’histoire littéraire de notre temps comme l’un des plus curieux incidents de traduction auquel puisse être sujet un académicien. Tout devait ici éclairer le R.P. Gratry. Fénelon s’exprime avec la plus rare modestie. Son ton, plein de calme et de dignité annonce, ainsi que ses paroles, les intentions les plus pacifiantes. Son but est d’amener la concorde entre ceux d’au delà et ceux d’en deçà des monts, et tout d’un coup il s’attaquerait, avec les termes durs que l’on vient de lire, à l’une des deux écoles qu’il tente de mettre d’accord. L’épithète de critiques, appliquée aux docteurs que Fénelon désespère de gagner, les désignait pourtant assez, en même temps que leur liberté de penser à l’endroit des origines de la puissance papale, montrant plus que suffisamment qu’ils n’ont rien de commun avec ce qu’on appelle les ultramontains. Rien n’y a fait Le R P. Gratry ne s’est pas reconnu au portrait tracé par Fénelon. Il s’en est emparé pour l’appliquer à d’autres ; sans cette tentative malheureuse ne pouvait pas aboutir. Pour la faire retomber sur son auteur, il suffisait de mettre sous les yeux du lecteur le texte entier de, Fénelon.
Il faut avouer que c’est une étrange idée d’invoquer le nom de l’archevêque de Cambrai contre les partisans de l’infaillibilité du Pape. Mais le R.P. Gratry a une manière toute à lui de Iire, les livres dont il parle. C’est ainsi qu’il affirme innocemment que Fénelon, dans son livre De summi Pontificis auctoritate, réfute Bellarmin 25 , tandis que Fénelon déclare expressément son accord avec Bellarmin, et qu’il le suit en effet sur toute la thèse de l’infaillibilité ex cathedra. Le but de Fénelon, dans cet ouvrage qui dut rester inédit, était de faire accepter cette thèse en deçà des monts, et d’amener les partisans de l’infaillibilité privée à ne plus soutenir leur sentiment. Aujourd’hui la doctrine de l’infaillibilité ex cathedra est professée moralement partout. S’il est encore des partisans de l’infaillibilité privée, leur sentiment ne peut offenser personne. Il n’y a le bruit que du côté de ceux que Fénelon poursuivait si rudement sous le nom de critiques, et ce bruit s’étendrai de luimême.
Quant à ce qui est des véritables critiques, que l’on ne saurait trop honorer, le R.P. Gratry court risque de n’être pas admis dans leurs rangs, tant qu’il lui plaira de ressasser les vieilleries qui reparaissent encore dans sa deuxième Lettre, à propos des finisses décrétales. Grâce à Dieu, je n’ai nulle envie d’appuyer ceux qui, après plus de deux siècles que cette question est terminée, ont, encore la distraction de citer ces pièces dans une discussion sérieuse. Mais il semble que le R.P. Gratry devrait avoir pour eux quelque indulgence, puisqu’il convient que luimême, il y cl de cela quinze ans 26 , ne connaissait que de nom les fausses décrétales, et qu’alors encore il supposait authentiques 27 des passages qu’il juge tout autrement aujourd’hui, et avec raison. Il nous apprend qu’il est maintenant en possession de la savante édition, de ces célèbres apocryphes, publiée en 1863, à Leipsik, par le docteur Hinschius ; mais il a tort de croire que cille édition soit la première, et l’on ne peut s’empêcher de sourire du contentement naïf qu’il éprouve d’y tenir n ces coupables, condamnées, enfermées et mises hors d’état de nuire 28 . Hélas ! ces pauvres décrétales n’ont jamais nui à personne, si ce n’est aux métropolitains, contre les droits desquels elles furent fabriquées au profit de l’indépendance des évêques. Le docteur Hinschius apprendra cela et beaucoup d’autres choses au R.P. Gratry.
Mais en prenant la liberté de recommander la critique à l’aventureux oratorien, je crois devoir lui prédire qu’il en aura besoin à trois points de vue différents. D’abord, pour apprécier la qualité des pièces qu’il trouvera dans le recueil du docteur Hinschius. Il est vrai que, sur ce point, le R.P. Gratry est déjà gagné. Plus heureux qu’il ne l’était il y a quinze ans, il sait maintenant que ces malheureuses décrétales sont apocryphes, et il ne l’oubliera pas.
Le second usage qu’il aura à faire de la critique, .consiste à se rendre bien compte que les fausses décrétales n’ont point changé la discipline de l’Eglise au profit de la papauté, ainsi qu’il le prétend. D’autres, il est vrai, l’ont dit avant lui, les uns par ignorance, les autres par passion ; mais, depuis longtemps déjà, un écrivain qui se respecte ne redit plus cette absurde calomnie. En attendant que le R.P. Gratry ait eu le temps de s’en assurer par luimême, je lui citerai, dans son propre camp, un homme qu’il ne saurait récuser, M. le Prévôt Doellinger en personne. Voici ce qu’il enseigne sur cette importante question, dans son histoire de l’Église, troisième époque, chapitre IV, § 79 : ,, On a cru voir, ditil, que, dans cette falsification, l’intention avait été de rehausser » la puissance des papes. Cette assertion est évidemment inexacte ; car si l’autorité des papes avait eu besoin alors de l’extension que pouvaient lui donner ces décrétales, l’auteur eut plutôt adopté la forme propre aux canons des conciles, par lesquels il eut fait accorder aux papes les prérogatives qui, suivant lui, pouvaient lui manquer, et il se serait bien gardé de faire un cercle vicieux, en basant l’autorité de ses décrétales sur le pouvoir législatif des papes, et réciproquement celuici sur les décrétales. En général, il ne pouvait point avoir l’intention d’introduire une nouvelle discipline dans l’Eglise. En effet, si, dans quelques points importants, son ouvrage eût été en contradiction manifeste avec la discipline qui était alors en Vigueur, il dit excité les soupçons de tout le monde ; on eut fait des recherches, et, dans un temps où l’on avait assez de critique pour prouver la fausseté d’un écrit (l’Hypognostique, répandu. sous le nom de saint Augustin), on eût bien pu découvrir aussi la supercherie à l’égard des décrétales, supercherie a qui ne resta cachée que parce que cet ouvrage, généralement conforme taux principes et aux institutions de l’Église à cette époque, ne donna lieu à aucun soupçon.
La vraie critique est complètement d’accord ici avec le docteur Doellinger, et j’avertis le R.P. Gratry que s’il veut maintenir son système d’un changement introduit dans la discipline de l’Eglise par les fausses décrétales, il lui faudra autre chose que des assertions. Bien avant le milieu du neuvième sicle, époque de la fabrication de ces fausses pièces, le droit papal apparaît sur les monuments les plus authentiques, tel qu’il est affirmé dans ces apocryphes documents. J’attendrai à l’œuvre le R.P. Gratry, afin de savoir comment il s’y prendra pour démontrer le contraire.
Un troisième usage de la critique auquel je le convie, sera de rechercher dans les Pères, dans les Conciles et dans les vraies Décrétales les nombreux passages que le faussaire leur a empruntés pour en remplir son œuvre. Au reste, ce travail a déjà été fait, et son résultat est de prouver matériellement que la majeure partie du texte des fausses décrétales et des dispositions qu’elles contiennent, n’est qu’un plagiat audacieux de phrases et de sentences puisées dans les monuments antérieurs de plusieurs siècles à l’époque où cette compilation fut mise au jour. Ainsi, sans aller plus loin, le R.P. Gratry trouvera dans le concile romain de saint Gélase, en 494, le texte sur l’Eglise romaine qui le scandalise si fort aujourd’hui dans la fausse décrétale de saint Anaclet, et qui, de l’aveu du R.P. Gratry, lui avait semblé inoffensif, il y a quinze ans 29 . Quoiqu’il fasse, l’éloquent oratorien laisse trop voir qu’il est complètement neuf dans ces matières. Espérons qu’à force d’expériences, il arrivera à comprendre qu’entre les choses qui ne s’improvisent pas, l’érudition historique tient le premier rang.
Le R.P. Gratry vient de publier une troisième Lettre à Mgr l’archevêque de Malines. On y trouve les mêmes démonstrations de gallicanisme violent, avec d’autres preuves de la parfaite nouveauté de l’auteur, dans les questions qu’il s’est imposé de traiter invita Minerva.
Je ne le suivrai pas sur le fait d’Honorius, auquel il consacre encore une partie notable de sa Lettre. Le R.P. Gratry se répète, et rien n’annonce qu’il ait pénétré plus avant dans la question. Essayons
de la résumer en quelques propositions. I. Honorius n’a point été hérétique. Il. La lettre d’Honorius à Sergius n’est point une décision doctrinale. Ill. Le sixième Concile a fort maltraité Honorius. IV. Saint Léon Il, à qui il appartenait de donner forme et valeur au Concile , n’a point accepté le mélange du nom d’Honorius avec ceux des monothélites. V. Dans sa décrétale confiscatoire, saint Léon Il a inscrit à part le nom de ce pontife, non comme hérétique, mais comme ayant favorisé par sa négligence le progrès du monothélisme. Vl. Le Liber diurnus est d’accord avec la décrétale de saint Léon II.
Tel est l’ensemble des faits, et tant que le R.P. .Gratry ne l’aura pas détruit, il demeurera impossible de tirer de toute cette histoire un argument quelconque contre l’infaillibilité du Pontife romain. Lorsque le bruit sera tombé, on s’étonnera de tout ce que la passion gallicane a fait écrire sur ce sujet depuis quelques mois. Le R.P. Gratry nous dit dès aujourd’hui : » Je crois, avec Mgr Héfélé, qu’Honorius n’était pas hérétique dans l’âme, ni même peut être dans l’esprit 30 . » Donc, pouvonsnous déjà conclure, les paroles du sixième Concile qui accusent sa personne aux mêmes titres que celles de Sergius, de Paul, de Pyrrhus, de Cyrus, qui ont bien été hérétiques et dans l’âme et dans l’esprit, sont au moins empreintes d’exagération, et nous comprenons pourquoi saint Léon Il, qui ne pouvait pas effacer ces paroles des Actes du Concile, ne les a pas admises comme faisant partie de l’essence de ce même Concile. Elles demeurent dans l’histoire, mais elles ne règlent pas notre croyance.
Après avoir amnistié, ou à peu près, Honorius, sous le rapport de la conscience, le R.P. Gratry se propose de nous montrer qu’au moins, dans son langage, ce pontife a été hérétique, et c’est à ce propos qu’il écrit ces lignes qui dérideront plus d’un lecteur. a Consulté, ditil, sur l’unité ou la dualité de volonté en JésusChrist, Honorius ne cesse d’affirmer et de répéter ceci : Il ne faut dire ni une volonté, ni deux volontés ; l’en et l’autre est inepte, » satis ineptum 31 . Honorius, consulté sur ce point comme pape, a donc répondu comme si, consulté sur la Trinité et sur le nombre des personnes, il avait dit : Il ne . faut enseigner ni une personne, ni trois personnes, l’un et l’autre est inepte. N’estce pas là nier le dogme et déclarer qu’il est inepte ?
N’estce pas là de l’hérésie 32 ?
Que le R.P. Gratry, de l’Académie française, veille avec zèle à la conservation du Dictionnaire de notre langue, rien assurément de plus légitime et de plus honorable ; mais il abuse de la permission, quand il s’avise de transporter à d’autres langues le sens absolu que tel mot a dans la nôtre. Honorius a écrit en latin sa lettre à Cyrus d’Alexandrie, dans laquelle il enseigne que nous devons confesser les deux natures, la divine et l’humaine, opérant ce qui est propre à chacune, sans confusion, sans division, sans mélange, dans la personne du Fils unique de » Dieu 33 ; » et dans cette même lettre, le Pontife qui , par les paroles que je viens de citer, exprime si correctement le dogme, déclare que, se servir de ces expressions, une opération, ou deux opérations, satis ineptum est. Qu’atil voulu dire ? Sa pensée estelle que, reconnaître une ou deux opérations en JésusChrist est ce que nous appelons une ineptie ? Il est clair que le R.P. Gratry a intention de le donner à croire, et c’est en cela qu’il a le tort d’oublier qu’Honorius s’exprime en latin et non en français.
A lire simplement la lettre de ce pape, où il enseigne lui même qu’en JésusChrist les deux natures opèrent les choses qui leur sont propres, propria operantes, on voit clairement qu’il ne peut traiter d’ineptes (dans le sens du mot français) des expressions qui ne sont que la traduction de sa pensée à luimême. Il repousse ces termes pour un autre motif : c’est qu’ils sont, à son avis, peu propres au sujet. Il ne s’agit pas ici de justifier Honorius dans ce fait de conduite ; il s’agit du Dictionnaire de la langue latine. Que signifie ineptus dans cette langue ? Nous le demanderons tout simplement à Cicéron. Voici ce qui, nous dit ce docteur par excellence de la langue latine. Dans son livre de Oratore, il met les paroles suivantes dans la bouche de Crassus : » J’ai toujours regardé ce mot ineptus, » comme un des mots les plus énergiques de la langue latine. Ce que nous appelons ainsi est, à mon avis, ce qui n’est pas » optus ; notre manière accoutumée de parler détermine ce sens. Ainsi on qualifie d’ineptus, celui qui n ne se rend pas compte de l’àpropos, celui qui parle avec excès ou avec prétention, celui qui ne s’inquiète pas de la dignité ou de l’intérêt de ceux avec lesquels il se trouve ; enfin celui qui, en quelque genre que ce soit, est sans ordre ou excessif. Cicéron ajoute ensuite cette remarque qui vient assez ad rem : » La très érudite nation des Grecs abonde en ce défaut, en sorte que, n’en ayant pas la conscience, ils ne lui ont pas donné de nom. Cherchez tant que vous voudrez dans leur langue quelque chose d’équivalent au mot ineptus, vous ne le trouverez pas. Mais de toutes les ineptioe, et le nombre en est infini, je ne sais s’il en est une plus grande que d’aller sans nécessité, disputer et subtiliser en tous lieux et devant toutes sortes de personnes, sur les matières les plus difficiles 34 .
Après cette explication magistrale, le R.P. Gratry n’est donc pas fondé à donner au mot ineptus le sens de notre mot inepte ; pas plus qu’il n’a le droit de dire qu’Honorius ne cesse d’affirmer et de répéter , qu’il est satis ineptum de dire une ou deux opérations ; car Honorius ne se sert de cette expression qu’une seule fois.
Quant au rapprochement que fait le R.P. Gratry du satis ineptum d’Honorius avec cette proposition : IL ne faut pas enseigner ni une personne, ni trois personnes : l’un et l’autre est inepte ; ce rapprochement ne se soutient pas. La thèse posée en cette manière serait hérétique, parce que le mot ineptum, ainsi amené, attaquerait le fond même du dogme de la Trinité ; tandis que l’emploi de ce même mot dans la lettre à Cyrus d’Alexandrie, où Honorius confesse que dans la personne du Verbe incarné chacune des deux natures opère ce qui lui est propre n’ayant pour but d’exprimer qu’une subtilité prétentieuse et inutile, n’affecte que le mode de parler et non le fond. Mais en voilà assez sur Honorius ; il est temps de passer à saint Thomas, à propos duquel le R.P. Gratry, pour s’être trop fié aux notes qui lui ont été fournies, est tombé dans le plus étrange qui pro quo.
Il a trouvé dans saint Thomas ces deux propositions : l Papa habet in Ecelesia plenitudinem potestis. 2 Episcopi obtinent in Ecclesia summam potestatem. De ce double texte il argumente ainsi : Le Pape a dans l’Église la plénitude de la puissance, et les évêques ont dans l’église la suprême puissance : donc la souveraineté appartient aux deux 35
Il faut convenir qu’une magistrature ordonnée de cette manière, dans laquelle la puissance souveraine appartiendrait à la fois au chef et aux membres ,serait une singulière chose. On se demande comment un tel corps, au sein duquel l’autorité serait la même à tous les degrés, pourrait fonctionner, lorsqu’il interviendrait quelque dissidence entre ceux qui le composent ? On ne voit guère de choix qu’entre l’immobilité ou la rupture. Estce donc ainsi que saint Thomas a conçu la puissance hiérarchique dans l’Eglise ? La question vaut la peine d’être approfondie.
Dans ce but, le lecteur du R.P. Gratry se transporte au passage de la Somme, cité par celuici, Troisième partie, Question LXXll, Article 91 , et qu’y trouvetil ? la preuve la plus palpable de la distraction du respectable oratorien, ou de son désintéressement complet en fait de théologie. Ne s’estil pas avise de confondre la hiérarchie d’ordre avec la hiérarchie de juridiction, montrant ainsi que les notions élémentaires lui font défaut ?
Avant d’aller plus loin, arrêtonsnous ici à donner à ceux des lecteurs du R.P. Gratry sous les yeux desquels tomberait cette Défense de l’église romaine, quelques idées qui les mettront promptement à même de comprendre ce dont il s’agit.
On doit savoir qu’il existe dans l’Église deux hiérarchies : la hiérarchie d’ordre et la hiérarchie de juridiction.
La hiérarchie d’ordre a pour objet la sanctification de l’homme par les sacrements. Elle se compose de trois degrés : le degré souverain qui est l’épiscopat, le degré intermédiaire qui est la prêtrise, et le degré inférieur qui est le diaconat.
La hiérarchie de juridiction a pour objet le gouvernement de l’Église. Elle se compose du Pape qui est de ; droit divin Pasteur universel, et des divers degrés qui s’échelonnent audessous de sa principauté : cardinaux, patriarches, primats, archevêques, évêques, prélats inférieurs.
Ces deux hiérarchies, on vient de le voir, diffèrent essentiellement l’une de l’autre par leur objet. Dans la hiérarchie d’ordre, le Pape ne peut rien de plus que tout autre évêque ; dans la hiérarchie de juridiction, le Pape est supérieur à tout le reste de l’épiscopat ; de même que saint Pierre, égal aux autres apôtres quant à l’ordre, possède seul la qualité de fondement, et a seul reçu la charge de paître agneaux et brebis ; en sorte que selon la forte expression de Bossuet, les évêques sont pasteurs à l’égard des peuples, « brebis à l’égard de Pierre 36 . »
Cela posé, que dit saint Thomas dans le passage cité par le R.P. Gratry ? il enseigne que le sacrement de confirmation a pour ministre l’évêque, et voici la raison qu’il en donne : » Le sacrement de confirmation, ditil, est comme la dernière consommation du » sacrement du Baptême. Par le Baptême l’homme est construit en maison spirituelle , il est écrit » comme une lettre spirituelle ; mais par le sacrement » de Confirmation, cette maison construite est dédiée en temple du SaintEsprit, et cette lettre est signée » du signe de la croix. C’est pour cela que la collection » de ce sacrement est réservée aux évêques qui ont » dans l’Eglise la suprême puissance. Et deo collatio » hujus sacramenti episcopis rescrvatur, qui obtinent » summam polestalem in Ecclesia.
Et c’est cette prérogative de l’évêque dans la hiérarchie d’ordre que le R.P. Gratry, qui n’a rien compris au texte de saint Thomas, confond avec la puissance de juridiction ! Comment peutil ignorer qu’un évêque sans juridiction, sans diocèse, n’en possède pas moins, par son caractère sacré d’évêque, cette suprême puissance sacramentelle dont parle ici uniquement le docteur angélique ? N’eston pas fondé à dire que le R.P. Gratry est dépaysé, lorsqu’on lui voit faire de telles confusions ?
Quant à la plénitude de puissance qui réside dans le Pape, saint Thomas l’enseigne, comme en convient le R.P. Gratry ; mais sur ce sujet, nous avons mieux encore que saint Thomas. Il s’agit ici d’un dogme de foi catholique formulé dans le concile de Florence.
Pour être sauvés, nous devons croire, selon cette solennelle définition, que le Pape » est le véritable Vicaire de JésusChrist, qui lui a donné, dans le bienheureux Pierre, le plein pouvoir de gouverner et a régir l’Église universelle. , L’Église est donc une monarchie, et elle n’en serait pas une, si, comme le prétend le R.P. Gratry, la suprême puissance, appartenait à la fois au Pape et aux évêques. Mais, franchement, il était inutile, pour ne pas dire autre chose ,de faire intervenir ici le pouvoir de l’évêque au dessus de celui du prêtre, dans l’administration du sacrement de Confirmation. Nul, ne songe à contester la suprême puissance de l’ordre dans ceux qui ont reçu le complément du sacerdoce.
Le R.P. Gratry a donc perdu sa peine, et puisqu’il est de force à confondre la hiérarchie d’ordre avec la hiérarchie de juridiction, ce qui montre qu’il ne possède pas les premiers éléments de la question, il devrait bien prendre un rôle plus modeste à l’égard de saint Thomas qui a le malheur de citer parfois des textes apocryphes. Il semble que le respect d’un si grand docteur exigerait que, lorsqu’on ne peut admettre tel ou tel passage qu’il allègue, on discutât du moins les autres autorités sur lesquelles il appuie son argumentation. Ainsi, pour s’opposer à Mgr de Malines qui avait cité le docteur angélique sur la principauté du Pape dans l’Eglise (in IV, sentent. Distinct. XXlV. Quoest. Ill. Art. 11), le R.P. Gratry croit en avoir fini, en donnant à entendre que saint Thomas ne s’appuie que sur un passage apocryphe de saint Jean Chrysostome ; mais il omet de dire que le saint docteur n’allègue ce texte qu’après .avoir établi sa thèse sur deux textes de l’Écriture. Le P. Gratry éloigne ensuite le faux texte de saint Jean Chrysostome, en citant ces paroles du P. Nicolaï : In Chrysostomo non occurrit : mais il se garde de parler de deux autres textes authentiques du saint docteur, que le savant éditeur de saint Thomas produis. a décharge, pour montrer que si l’Ange de l’Ecole a été trompé sur le texte qu’il allègue ,saint Jean Chrysostome en fournit d’autres qui expriment la même pensée. En tout cas, convenons que ceci n’est pas de bonne guerre.
Mais que dire de l’idée qu’a eue le R.P. Gratry d’insérer dans son pamphlet la bulle de Paul IV, en ,1559, contre les hérétiques ? Atil cru apprendre quelque ;chose à quelqu’un, en montrant par cette pièce que dans les pays où régnait l’unité de la foi catholique, l’hérésie était considérée comme une trahison et traitée comme telle ? Y atil quelqu’un qui I’ignore ? On sait aussi qu’à cette époque le sang des catholiques coulait sur les échafauds, qu’ils étaient traqués et massacrés en toutes rencontres dans les pays où la Réforme avait prévalu, bien que leur religion fut l’ancienne, tandis que l’hérésie était nouvelle. Le, R.P. Gratry ignoreraitil, par hasard, que le protestantisme ne s’est implanté nulle part, qu’au moyen de la violence S’il ne le sait pas., qu’il l’apprenne : il ne faut pas pour cela de grands efforts. S’il le sait, comment trouvetil étonnant que les catholiques aient eu recours aux mesures défensives pour éloigner un fléau qui n’opérait tant de ravages que parce qu’il n’avait pas rencontré tout d’abord une répression suffisante ?
Ce R.P. Gratry se scandalise de voir Paul IV, dans sa bulle, parler comme s’il avait autorité, sur les royaumes. A ce compte, il doit être fort mécontent, non plus seulement du Pape, mais des conciles eux mêmes ; car il ne manque pas de conciles, en y comprenant ceux de Constance et de Bâle si chers au gallicanisme ; il ne manque pas, disje, de conciles que l’on a entendis s’exprimer de la même manière que Paul IV, et sanctionner des dispositions toutes semblables à celles que prend ce pontife.
Quel a donc été le but du R.P. Gratry en remettant cette bulle sous les yeux de ses lecteurs ? Il nous le déclare : son intention a été d’arrêter, s’il le petit, la définition de l’infaillibilité du Pape. Mais, lui dirai je, admettezvous l’infaillibilité du Concile ? Sans doute, répondratil. Je serai contraint de lui dire alors : » Mais, mon révérend Père, pourquoi approuvezvous dans le Concile ce qui vous scandalise si fort chez le Pape, puisqu’il est constant que dans divers conciles le droit souverain du spirituel sur le temporel a été affirmé et mis en pratique, et qu’en particulier vos conciles de Constance et de, Bâle ne s’en sont pas fait faute ?
Mais le R.P. Gratry a pensé qu’il avait besoin d’un épouvantail, et il a cru l’avoir trouvé. Dans son transport, il n’a pas vu que rien n’était plus odieux qu’un fils qui, craignant que sa mère ne soit trop honoré, s’en va crier sur les toits qu’elle est capable de tous les excès. Au lieu de laisser remplir cet office à d’autres, il s’en charge luimême avec frénésie.
Maintenant, quoi de plus illogique que les conclusions qu’il prétend tirer de la bulle de Paul IV ! Quel rapport peut avoir cette bulle avec la prochaine définition de l’infaillibilité ? Ne prouvetelle pas au contraire que, n’ayant pas encore ôté rendue au temps de Paul IV, cette définition demeure sans relation aucune avec l’exercice que ce pontife crut devoir faire de son droit de magistrat suprême de la république chrétienne. Où le R.P. Gratry atil vu dans cette bulle ce qu’il affirme contre toute vérité et toute évidence, que Paul IV impose à tout fidèle de croire que le Pape est maître de tous les royaumes ? Y atil ,un seul mot qui l’autorise à soutenir une telle fausseté ? Nous atil jamais entendu, nous autres ultramontains, accuser ses chers conciles de Constance et de Bâle qui ont fait avant Paul IV ce qu’a fait Paul IV, d’avoir imposé aux fidèles de croire que le principe en vertu duquel ils agissaient renfermait un dogme de foi obligatoire ?
Mais ce n’est pas tout. Une autre hallucination a fait voir au R.P. Gratry clans la bulle de Paul IV qu’un évêque ou un pape même, tombés dans l’hérésie occulte avant leur promotion, seraient privés par là même du droit de conférer l’ordination, en sorte que les prêtres consacrés par eux n’auraient pas reçu le caractère du sacerdoce. L’habitude de confondre la hiérarchie d’ordre avec la hiérarchie de, juridiction, a donc encore dévoyé ici le R.P. Gratry. Il n’a pas su voir que les nullités dont seraient frappés les actes de ces pasteurs infidèles s’appliquent non aux actes sacramentels, mais aux faits d’administration.
Le texte de la bulle est cependant formel sur ce point comme la théologie ; mais rien n’y fait. Le R.P. Gratry cherche des extravagances, et quand il n’en rencontre pas, il prête les siennes.
De tels excès dépassent toute attente ; mais ce qui blesse le cœur catholique, c’est le triste courage avec lequel le R.P. Gratry ose signaler le Pontife romain déclaré infaillible dans le concile du Vatican, comme pouvant menacer l’Europe d’une nouvelle balle de Paul IV. En ce moment où les nations ont, l’une après l’autre, effacé de leurs constitutions la maxime qui en fut si longtemps la base ; en ce moment où l’Église resserrée sur le dernier lambeau du territoire que lui garantit autrefois la fore et chrétienne épée de Charlemagne, barde au prix de tous les sacrifices le dépôt qu’elle a juré de ne céder jamais ;c’est alors que le R.P. Gratry a le triste courage de lancer contre elle le soupçon de la voir renouveler aujourd’hui ou. dans l’avenir 37 les mesures qu’un pape du seizième siècle publiait comme une dernière protestation contre la terrible défection qui, rompant le lien de l’antique foi, brisait pour toujours, petit être, l’unité du monde civilisé On se demande si le R.P. Gratry connaît le temps où il vit. S’il en a quelque conscience, ne nous metil pas en droit de lui demander sur quel fondement il lui plaît de refuser le bon sens à l’Église de JésusChrist ?
Il prétend avoir entendu dire, ou avoir lu quelque part, que le Pape, c’est l’eucharistie, que le Pape, c’est la voie, la vérité et Ici vie, etc. 38 ; et il part de là pour mettre en avant des énormités qui dépassent de beaucoup celles qui le mettent si fort en colère. D’autres lui ont dit, à ce qu’il paraît, qu’il faudrait supprimer les conciles 39 ; il le trouve mauvais, et en cela il a raison ; mais il ne voit pas qu’en déclamant avec tant de violence contre l’infaillibilité papale qu’il sait être la doctrine de la majorité du Concile actuel, il manque plus gravement que personne au respect dû à ces saintes assemblées.
Il ose reprocher au saint et savant P. Faber d’avoir enseigné que, le Souverain Pontife est la présence visible de JésusChrist parmi nous ; et d’avoir signalé l’affinité mystérieuse qui unit. le dogme, eucharistique à celui de la papauté 40 . Nonseulement le P. Gratry n’est pas armé pour lutter avec un théologien de la force du P. Faber, mais il laisse voir ici d’une manière trop claire combien lui sont peu familières les conséquences du divin mystère de l’Incarnation. L’hérésie pourtant ne s’y est pas trompée. Il y a longtemps que l’on à remarqué que la haine qu’elle porte au Fils de Dieu dans l’hostie sainte, est de même nature que celle dont elle poursuit le même Fils de Dieu représenté icibas dans son vicaire
Entraîné par sa fougue, l’ardent oratorien n’aperçoit plus l’union de ces deux dogmes. Mais, craignant de voir ses disciples entraînés loin de la foi catholique, ce qui ne saurait manquer pour plusieurs, grâce à la faiblesse de leur instruction et à la confusion d’idées qu’il produit dans leurs esprits , il se précipite après eux, il les rappelle et les adjure de ne pas laisser perdre leur trésor. Ce trésor, leur ditil, c’est JésusChrist, c’est son Evangile, sa présence réelle, l’Eucharistie, la Pénitence et la rémission des péchés ; c’est le dogme de la Communion des saints, c’est l’existence visible de la » sainte Eglise, notre mère ; c’est le fait de la vie éternelle, vie divine et surnaturelle conférée aux âmes dès cette vie 41 . »
. Mais, lui répondront ses disciples, vous nous parlez de l’Église comme d’une mère, vous nous la signalez comme visible ; nous ne demanderions pas mieux que de la chercher et de la suivre. Ne voyezvous pas que vous nous en avez ôté les moyens ? Cette Eglise visible, c’était à son Pape que nous la reconnaissions. Or, d’après vos écrits, le Pape n’est plus un signe assuré. Outre que ses droits ne reposent que sur des documents frelatés, vous nous enseignez qu’il faut chercher la vraie Église dans les Églises apostoliques aussi bien que dans l’Église romaine. Saint Irénée, accommodé par vous, n’exprime plus ut, droit, mais un simple fait. Vous prenez la peine de nous citer Origène, qui s’en vient nous dire que tout apôtre et même tout chrétien est Pierre ; tout cela ne nous aide pas précisément à découvrir cette Église visible qui fait partie du trésor. Nous nous flattions de rencontrer du moins sa doctrine dans l’enseignement du Pontife romain ; mais après vous avoir entendu crier : Anathème à l’hérétique Honorius ! savezvous que nous sommes fort déconvenues , et quelque peu tentés de renoncer à votre Église abstraite qui ressemble par trop à celle des protestants. Les ultramontains ont, du moins, une règle sure, celle de saint Ambroise : Ubi Petrus, ibi et Ecclesia ; mais vous nous dites qu’il faut s’attendre à voir maintes fois l’Église d’un côté et Pierre de l’autre ; nous avons peu. de goût à rester ainsi en l’air. Il y a bien, à ce que l’on dit, un concile œcuménique de Lyon et un concile œcuménique de Florence qui auraient déterminé ce qu’il faut croire sur les prérogatives du Pape ; mais vous ne nous en parlez pas. Ne soyez pas trop surpris, si notre foi a fini par s’ébranler. »
Tel est le résultat trop facile à constater, hélas ! de toutes les menées qui ont lieu en ce moment. Trop de gens, je le répète, se sont accoutumés à voir .l’Eglise dans un homme de leur choix, et si cet homme fait un faux pas ils le font avec lui : triste signe de l’abaissement de la foi ! Mais elle se relèvera, cette foi, lorsque l’Esprit Saint aura parlé, lorsque les grâces, a qui viendront par le Concile , se répandront sur la chrétienté qui persévère dans la prière et les saintes couvres. Alors ceux qui mangent l’Agneau comprendront enfin le mystère de l’unité. L’Apôtre l’a dit :
Nous sommes un seul pain, un seul corps dans notre grand nombre, nous tous qui participons à un seul pain 42 . Pourquoi ? parce que nous n’avons qu’un seul Christ qui nous nourrit de sa chair, qui nous enseigne et nous régit par son Vicaire. L’Agneau doit être mangé dans la maison du père de famille, et le représentant du père de famille est Pierre. Les schismatiques ont la présence réelle du Christ dans le mystère eucharistique : mais c’est pour leur condamnation qu’ils en approchent. Pour les catholiques unis à Pierre, cette divine présence est le Pain qui donne la vie. Au quatrième siècle, saint Jérôme parlait déjà comme le P. Faber, et célébrait la corrélation des deux mystères, quand il écrivait à saint Damase Je me tiens uni de communion à Votre Béatitude, c’estàdire à la Chaire de Pierre. C’est sur cette Pierre, je le sais, que l’Eglise est bâtie. Quiconque mange l’Agneau hors de cette maison n’est qu’un profane 43
Il faudrait tout relever dans l’œuvre du R.P. Gratry, si l’on voulait signaler en détail les traits d’hétérodoxie et aussi les méprises dont elle regorge. A la fin de la troisième Lettre, il a la malencontreuse idée d’essayer de se placer sous le couvert de saint Bernard, et là encore il nous donne la preuve de sa nouveauté, dans l’étude des Pères.A .la suite des ennemis de l’Eglise et ;afin de ne pas se compromettre par des injures directs au Pontife romain, il daigne sous le nom de curia romana l’objet de ses diatribes furibondes. Nous connaissons ce stratagème : Fra Paolo, Quesnel, Fébronius, Ricci, nous y ont accoutumés. Les épithètes de pharisiens, de serpents, de portes de l’enfer, se pressent dans sa péroraison, et tout cela s’adresse à cette coupable cour romaine qui lui est si odieuse 44 . Abusant de divers textes détachés des livres de Consideratione que saint Bernard adressa à son disciple Eugène Ill, il veut donner ce saint docteur pour un censeur de la papauté, tandis que saint Bernard la relève audessus de font, en même temps qu’il porte l’attention du nouveau Pontife sur certains abus qu’il l’exhorte à réformer. Or, voici que le R.P. Gratry croit avoir rencontré dans ce beau Iivre le portrait de cette curia romana, de ces pharisiens, de ces serpents, de ces portes d’enfer, gens d’Église qui constituent cette terrible école d’erreur qu’il cherche partout, même dans Fénelon, au risque de prêter à rire au public. Examinons s’il a été plus heureux avec saint Bernard.
Ah oui s’écrietil, notre ennemi caché, c’est celui dont saint Bernard dit : Ils sont odieux à la terre et au ciel, parce qu’ils ont mis la main sur tous les deux : Invisi coelo terroeque, quia utrique manus injecere 45 . » Je cours au volume, et au lieu d’y trouver le portrait de cette école d’erreur qui ne vit que de fausses décrétales et falsifie la notion de la papauté par ses flatteries outrées, je trouve saint Bernard occupé à prémunir son disciple contre le mauvais esprit de la population romaine, qui récemment encore avait tenté de secouer le joug temporel de la papauté. Faisen un peu l’expérience, ditil à Eugène, et tu verras si je connais en quelque chose le caractère de cette gent. Avant tout, ils sont habiles à commettre le mal, et quant au bien, ils ne le savent pas faire. Odieux à la terre et au ciel, ils ont mis la main sur l’un et sur l’autre. Impies envers Dieu, téméraires contre les choses saintes , séditieux, jaloux de leurs voisins, inhumains envers les étrangers ; je m’arrête enfin ; mais de qui s’agitil ? Ni plus ni moins que des garibaldiens du douzième siècle. Pour peu que le R.P. Gratry se fût donné la peine d’ouvrir saint Bernard, il eût aperçu la note de dom Mabillon Sur ce passage, et il y eut appris que le saint docteur fait ici allusion aux partisans d’Arnauld de Brescia, qui trouva de l’écho dans la ville de Rome, lorsqu’il voulut y renverser l’autorité papale. Dom Mabillon renvoie le lecteur à la lettre foudroyante que saint Bernard adressa alors à cette population séditieuse pour la contenir dans le devoir. Avouons qu’il faut avoir une furieuse envie de se compromettre, quand on cite les textes avec une telle légèreté.
En somme, l’absence de tout respect pour le SaintSiège forme l’unique caractère des trois pamphlets du R.P. Gratry, et il faut bien le dire, trop souvent même il livre passage à certains accents qui semblent trahir une aversion inexplicable pour Rome. C’est ainsi que, pour en finir, il en vient à lâcher le mot de Babylone 46 . Il se couvre, il est vrai, par une citation ; mais cette citation, il en adopte les termes. Le R.P. Gratry n’est pas Luther ; mais il parle comme Luther.
Qu’il le sache bien cependant, il faudra autre chose que des pamphlets pour arracher du cœur des vrais catholiques l’amour pour Rome, et la fidélité au pontife que Dieu maintient infaillible sur la Chaire de Pierre. Nous sommes enfants de l’Église, et par toute la terre nous répétons, avec saint Ambroise :
Ubi Petrus, ibi et Ecclesia. Mais nous n’ignorons pas qu’il y a une Babylone. C’est cette cité maudite qui fait la guerre à Rome, la cité aimée, civilatem dilectam 47 . Nous savons qu’il doit y avoir une défection, discessio 48 ; que des étoiles tomberont du ciel de l’Église 49 ; mais le Fils de Dieu ayant daigné dire qu’il a prié pour Pierre, afin que sa foi ne manque pas 50 , nous sommes avertis de ne pas croire même à un ange qui nous enseignerait le contraire 51 .
Forts des promesses divines ; nous acceptons tous les noms dont on nous charge. Autrefois , les païens nous appelaient Lucifuges, parce qu’ils nous traquaient dans les entrailles de la terre. Julien l’Apostat nous décora du nom de Galiléens, parce que notre Maître vint de Nazareth de Galilée. Au seizième siècle, les réformateurs crurent nous insulter en nous nommant Papistes, parce que nous nous faisons gloire d’avoir pour Pasteur et Docteur celui qui exerce la pleine paternité sur toute la famille du Christ. Aujourd’hui , avec l’applaudissement du R.P. Gratry, quelqu’un, dans son dédain, pense nous avoir stigmatisés en nous traitant de Romanistes 52 . Nous sommes fiers de cette appellation et nous en remercions Mgr d’Orléans ; car qui n’est pas Romaniste n’est pas Catholique. Tout doit avoir son nom ; et c’est pour cela que l’Eglise étant sortie de Jérusalem pour s’étendre dans la gentilité, les baptisés d’Antioche furent les premiers appelé Chrétiens, du Seigneur CHRIST 53 , auquel. on adhère avec d’autant plus de certitude que l’on mérite davantage d’être désigné comme Papiste et Romaniste. C’est la noble profession de foi de Fénelon
O Eglise romaine ! s’écrietil, ô cité sainte ! ô chère et commune patrie de tous les vrais chrétiens. !
Il n’y a en JésusChrist ni Grec, ni Scythe, ni Barbare, ni Juif, ni Gentil. Tout est fait un seul peuple dans votre sein. Tous sont concitoyens de Rome, et tout catholique est, ROMAIN.
La voilà cette grande tige qui a été plantée de la main de JésusChrist. Tout rameau qui en est détaché, se flétrit, se dessèche et tombe. O mère ! quiconque est enfant de Dieu est aussi le vôtre.
Après tant de siècles, vous êtes encore féconde.
O Épouse ! volis enfantez sans cesse à votre Époux dans tours les extrémités de l’univers.
Mais d’ou vient que tant d’enfants dénaturés méconnaissent aujourd’hui leur mère, s’élèvent contre elle, et la regardent comme une marâtre ?
D’où vient. que son autorité leur donne tant de vains ombrages ? Quoi ! le sacré lien de l’unité, qui doit faire de tous les peuples un seul troupeau, et de tous les ministres un seul pasteur, seratil le prétexte d’une funeste division ? Serionsnous arrivés à ces derniers temps où le Fils de l’homme trouvera à peine de la foi sur la terre ? Tremblons, mes très chers frères, tremblons de peur que le règne de Dieu dont nous abusons ne nous soit enlevé, et ne passe à d’autres nations qui en porteront les fruits ! Tremblons, humilionsnous, de peur que JésusChrist ne transporte ailleurs le flambeau de la pure foi, et qu’il ne nous laisse dans les ténèbres dues à notre orgueil 54
Ainsi parlait l’immortel archevêque .de Cambrai, luimême qui, douze ans auparavant, avait donné l’exemple de la soumission au Siège apostolique, lorsque le livre des Maximes des Saints ayant été condamné par Innocent XII, il déclara par sa conduite et par ses paroles que Rome ayant parlé, LA CAUSE ETAIT FINIE.
- Deuxième lettre à .Mgr Deschamps, p. 79[↩]
- Il fut un temps où les chefs du libéralisme catholique, ultramontains alors comme nous, se faisaient gloire d’adhérer à des doctrines si longtemps proscrites. Aujourd’hui, leur éloignement pour l’ancien régime souffre une. exception, lis ont résolu de sauver an moins le gallicanisme du naufrage de 89, et le Correspondant s’est voué depuis plusieurs années à la glorification de principes que l’école catholique de 1830 poursuivait avec autant d’énergie que de talent, Pour arriver à cette transformation, il a fallu abjurer Joseph de Maistre et couvrir d’un silence prudent les admirables écrits deJacques Balmès, après avoir longtemps proclamé le premier comme le chef de la réaction catholique, et célébré le second comme ayant donné la solution chrétienne des problèmes politiques d’aujourd’hui. Présentement, on en est i trouver que la déclaration de 1682 avait du bon, et que Louis XlV avait bien le droit d’être servi comme il le fut. Encore un peu et l’on amnistiera napoléon ; car enfin il se vantail d’être à cheval star les quatre Articles. On peut s’attendre à Lotit d’une école qui, en religion, ne s’inspire plus que de l’idée politique, en ce moment où rien n’est plus ni stable ni défini[↩]
- Deuxième lettre, page 47[↩]
- Ibid[↩][↩]
- Carmen de vita sua, ver. 562572[↩]
- Deuxième lettre, page 33[↩]
- Voir l’article Femmes savantes et Femmes studieuses, dans ne Correspondant, livraison d’avril 1867[↩]
- ) Sermon sur l’unité de l’Église[↩]
- Page 38[↩]
- Deuxième Mandement sur la constitution Unigenitus. OEuvres. Tome XlV, p. 545[↩]
- Omnes et singuli, turc clerici tum laicl, amplectantur, et aperta professione eam fidem pronumient, quam sancta Romana Ecenesia, magistra, columna et firmamenlum veritaüs profitetur et colit. Ad niine cnim, propter suam principalitatem, necessum est omnem convenire Ecclesiam. Concilia novissinua Gallice. Paris, 1646, page 87[↩]
- Commune hoc officium communionis cim eccIesia hmnana, cni impendendo cum caleris provinciis Galba adstringitur, cobnuer :aille aimnes vetstissimus ille Lugdunensium antis :es lroneus, qui unus scripsit quod onmes sentiebant : Ad romannne Ecclesiana, inquit, propler polenliorcm principalitalrna, necrsse est omnena convenue Ecclesiam ; quasi diceret juxta sinreriorem illorum verborum interprelationcm eam esse vira unitalis, queat,ineil)itim et originetn a Petri sede trahit, ut cum ea sentiendi necessitatem caeteris imponat. De Concordia imperii et sacerdotii. lib. n, cap. Il, p. 8. Edition de 1663[↩]
- Mgr Freppel, Saint Irénée, page 436[↩]
- Il faut se garder de confondre le sens spirituel de l’Ecriture transmis par la tradition, avec ces sens moraux que le besoin de remuer un auditoire inspire souvent aux Pères de l’église[↩]
- Deuxième lettre, page 54[↩]
- Ibid.[↩]
- In Matthaeum, t. XII, n° 11. opp., t. III, Migne, p. 1003.[↩]
- Deuxième lettre, page 57[↩]
- Deuxième lettre, page 59[↩]
- Deuxième lettre, page 58[↩]
- An ideo contemnendos putas, quia Occidentalis Ecclesiae sunt omnes, nec ullus est in eis commemoratus a nobis Orientis Episcopus ? Quid ergo faciemus, cum illi Graeci sint, nos Latini ? Puto tibi eam partcm orbis sufficere debere, in qua primum Apostolorum suarum volait Dominas gloiiosissimo martyrio coronare. Gui Ecclesia ? praesidentem beatum Innocentium si audire voluisses, jam tune periculosam juventulem tuam Pelagianis naqueis exisses. Quid enim potuit ille vir sanctus Africanis rcspondere conciliis, nisi quod antiquitus Apostonica Sedes et Romana corn caoteris lenet perseveranter Ecclesia
Contra Jaliannum Pelagianun :, lib, I, § Xlll[↩]
- Aut vero congregatione Synodi opus erat, ut aperta pernicies damnaretur ? quasi nulla baeresis aliquando nisi Synodi congregatione damnata sit cum poius rarissimae inveniantur, propter quas damnandas necessitas talis existiteri ; multoque sint atque incomparabiliter plures, qua ubi eastiterunt, illic improbari damnarique meruerunt, atque inde per caleras terras à devitande_ innotescere potuerunt. Verum istorum superbia, qua tantum se extollit adversus Deum, ut non in illo veut, sen polius in nijero arbilrio gloriari fane etiam gloriam capture intelligitur, ut propter illos Orientis et Occidentis Synodus congregetur. Orbem quippe catbolicum, quoniam Domino vis resistente pervcrtere nequeunt, saltem commovere conantur ; cum polius vigilantia et diligentia pastorali post factum de illis competens sufficiensque judicium, ubicumque isti lupi apparuerint, conterendi sint. Contra duas epistouds Pelagin »oruni, lib. IV, cap. Xll, n 34.[↩]
- Deuxième lettre, page 60[↩]
- Quaeris a me, N. quid sentiam de summorum Pontificum auctoritate. Prasto est responsum. Ea, quam amplector sententia, ita in medin posita est, ut non desperem Transalpines vesiros noslrpsque Cisalpinos doctores, co temperamento conciliari pose ; neque tamen spero criticos in eam sententiam descensuros esse : sobrie sapere nolunt ; temperala quoqne aspernantur. Nihil est abnorme ac devium, quod illis non arrideat. Niiiin est arduum , quod tucri non audeant. Hos sans plus quam hareticorum sectas Ecclesia tnetuo ; siquidem catholico nomine personati, intra septa Ecclesia impune grassantur. nos sapenumero audivi dicentes, Humain gentinis impcrii caput in causa fuisse, cur niomani pontitices Christiana ; reipubnicoe primatum afeclaverint, et credulun vulgus superstitioso cullu accepisse, quasi Christi institututn, ambitiosam niane lanti fasligii invasionem. fies ad meliorem frugem revocare quivis alius speret ; cerle non ego. Eus tantum bic compellere sat erit qui, paris et unitatis amantes, l’atentur, Apostolicam sedem ex institutione Christi sternum Ecclesiae catholica ; fore fuiidamentumcaput alque centrum. De Summi Pontificis auctoritate dissertatio. Proemiun. OEuvres de Fénelon, t. Il, p. 250. Edition Ferra. 127[↩]
- Deuxième lettre, page 8[↩]
- Deuxième lettre, page 15[↩]
- Ibid., page 73[↩]
- Ibid., page 10[↩]
- Deuxième lettre, page 16[↩]
- Troisième lettre, page 18[↩]
- Troisième lettre, page 17[↩]
- Ibid., page 78[↩]
- Labbe, t. Vl, col. 9[↩]
- Ex omnibus latinis verbis bujus verbi vint ven maximam semper putavi : quem enim nus (ineptum) vocamus, is mihi videtur ab hoc nomeii niabere ductum, quod non sit aptus ; idque in sermonis nostri consuetudine pernate palet. Nain qui aut, tempos quid postulet, non videl, aut plura loquitur, ant se ostentat, aut eorum, quibuscum est, vel dignitalis, vel commodi rationem non baba, aut denique in aliquo genere aul incoucinnus, aut muntus est is ineptus dicitur. Hoc vitio cumulata est eruditissima illa Groecorum natio itaque quod vint hujus mali Graeci non vident, ne nomen quidem ci vitio imposuerunt ; ut enim quaeras omnia, quomodo Greci ineplum appellent, nonreperies. Omnium auteur ineptiarum, qua surit innernerabiles, haud scio an nuina sit major, quant iinorum, qui soient, quocumque in noco, quoscumque inter homines visum est, de rebus aut difficilimis, aut non necessariis, argulissime dispulare. De Oratore,lib, Il, cap. IV[↩]
- Troisième lettre, page 29[↩]
- Sermon sur l’unité de l’Église[↩]
- Troisième lettre, page 59[↩]
- Troisième lettre, page 37[↩]
- Ibid., page 38[↩]
- Ibid., page 39[↩]
- Deuxième lettre, page 80.[↩]
- I Cor. X, 17[↩]
- Beatitudini tuae, id est, Cathedra Petri communione consocior. Super inllam Petram adificatam Eccleeiam scio quicumque extra niane domum Agnum comederit, profanus est. (Epist. XV. Migne, 355.)[↩]
- Troisième lettre, pages 6165.[↩]
- Troisième lettre, page 62[↩]
- Troisième lettre, page 64[↩]
- Apoc. XX, 9[↩]
- Il Thess. Il, 3[↩]
- Apoc. Vl, 13[↩]
- Luc. XXll, 32[↩]
- Gal. 1, 8[↩]
- Deuxième lettre, page 70 ; Troisième lettre, p. 41[↩]
- Act. Xl, 26.[↩]
- Deuxième Mandement sur la Constitution Unigenitus[↩]