DE LA MONARCHIE PONTIFICALE
A PROPOS DU LIVRE
DE MGR L’ÉVÊQUE DE SURA
PAR LE R. P. DOM PROSPER GUÉRANGER ABBÉ DE SOLESMES
DEUXIEME EDITION
In cathedra unitatis posuit Deus doctrinam veritatis.
S. AUGUSTINUS, Epist. ad Donatistas.
BREF DE N.S.P. LE PAPE PIE IX
Dilecto folio Prospero Guéranger, e Congregatione Benedictina Galliarum. Abbati Solesmensi.
PIUS PP. IX.
Dilecte fili, salutem et apostolicam benedictionem.
Dolendum profecto est, dilecte fili, nonnullos esse inter catholicos, qui dam hoc nomine gloriantur, vitiatis penitus imbuti princi. piis adeo praefracte istis adhxrent, ut non modo plane subjicere nesciant intellectum adverso hujus sanioe Sedis judicio, communi etiam Episcoporum assensu et commendationeroborato ; sed innocensentes societatis humana ; progressum et felicitatem illis omnino niti, Ecclesiam inclinare conentur ad sententiâm suam, seque solum sapere arbitrati, reliquam omnem catholicorum familiam aliter sentientem ultramontanae partis nomine designare non erubescant.
Quam quidem insaniam eocon, pellunt, ut divinam ipsam Ecclsiae constitutionem refingere aggrediantur et exigere ad recentiores civilis regiminis modos ; quo supremi Rectoris ei a Christo praepositi facilius depriman : autoritatem, cujus praerog va, expavescunt. Quamobrem preniciosas quasdam doctrinas soepii , improbatas audacter in mediurii proferunt, uti indubias aut saltem plane liberas, corradunt e veteribus earum propugnato ribus captiunculas historicas, mutila scriptorum testimonia, calumnias Romanis Pontificibus affectas, sophismata quaevis ; eaque omnia, sepositis omnino solidis argumentis quibus centies explosa sunt, impudentissimi regerunt eo spectantes, ut animos commoveant, suaeque factionis homines et imperitorum vulgus adversus communem caeterorum sententiam incitent Quo sane incaepto, praeter damnum invectae perturbationis fide hum, et detractarum ad trivia gravissimarum quaestionum, insipientiam audacia parem deplorare cogimur. Nam si firmiter cum caeteris catholicis tenerent aecumenicam synodum a Spiritu Sancto regi, soloque ejus afflatu definire ac proponere quae credenda sunt, nunquam in animum inducerent, vel ea definiri posse, uti de fide, quai revelata revera non sunt, aut obsint Ecclesiae, vel humanas artes impedimento esse posse Spiritus Sancti virtuti, quominus ea quag revelata sunt et Ecclesiae utilia definiantur.
Vetitum certe non ducerent, e qua decet ratione, proponi Patribus difficultates, quas huic aut illi definitioni obstare arbitrantur, ut lucidior e disceptatione veritas emergeret ; at uno hujus acti studio, prorsus abstinerent ab artibu quibus captari solent in comitiis populi suffragia, tranquillique et reverente expectarent supernae illustrationis effectum. Utilissimam igitur operam Ecclesiae te impendisse censuimus, qui praecipua ex ejusmodi scriptis refellenda suscepisti, eorumque simultatem, violentiam et artes ea soliditate demonstrastieo nitore, ea sacre archaeologiae scientiaeque ecclesiasticae copia, ut plurima paucis complexus, praestigium omne sapientiae abjudicaveris iis, qui sententias involvebant sermoaibus imperitis ; restitutaque veritate fidei, juris et historia :. culfis indoctisque fidelibus conslueris. Pergratum itaque tibi ob oblatum volumen profitemur amiimum ; exitumque faustum et amplissimum ominamur lucubrationi tux. Ejus vero auspicem et paternie Nostrae benevolentiae pignus apostolicam benedictionem tibi peramanter impertimus.
Datum Romae apud S. Petrum die 12 martii 1870, Pontificatus Nostri anno XXIV.
PIUS PP. IX
A Notre cher fils Prosper Guéranger, de la Congrégation bénédictine de France, Abbé de Solesmes.
PIE IX, SOUVERAIN PONTIFE.
Cher fils, salut et bénédiction apostolique.
C’est une chose assurément regrettable, cher fils, qu’il se rencontre parmi les catholiques des hommes qui, tout en se faisant gloire de ce nom, se montrent complètement imbus de principes corrompus, et y adhèrent avec une telle opiniâtreté, qu’ils ne savent plus soumettre avec docilité leur intelligence au jugement de ce Saint-Siège quand il leur est contraire, et alors même que l’assentiment commun et les recommandations de l’Épiscopat viennent le corroborer. Ils vont encore plus loin, et, faisant dépendre le progrès et le bonheur de la société humaine de ces principes, ils s’efforcent d’incliner l’Église à leur sentiment ; se regardant comme seuls sages, ils ne rougissent pas de donner le nom de parti ultramontain à toute la famille catholique qui pense autrement qu’eux.
Cette folie monte à un tel excès, qu’ils entreprennent de refaire jusqu’à la divine constitution de l’Église et de l’adapter aux formes modernes des gouvernements civils, afin d’abaisser plus aisément l’autorité du Chef suprême que le Christ lui a préposé et dont ils redoutent les prérogatives. On les voit donc mettre en avant avec audace, comme indubitables ou du moins complètement libres, certaines doctrines maintes fois réprouvées, ressasser d’après les anciens défenseurs de ces mêmes doctrines des chicanes historiques, des passages mutilés, des calomnies lancées contre les Pontifes Romains, des sophismes de tout genre. Ils remettent avec impudence toutes ces choses sur le tapis, sans tenir aucun compte des arguments par lesquels on les a cent fois réfutées. Leur but est d’agiter les esprits, et d’exciter les gens de leur faction et le vulgaire ignorant contre le sentiment communément professé.
Outre le mal qu’ils font en jetant ainsi le trouble parmi les fidèles et en livrant aux discussions de la rue les plus graves questions, ils Nous réduisent à déplorer dans leur conduite une déraison égale à leur audace. S’ils croyaient fermement, avec les autres catholiques, que le Concile œcuménique est gouverné par le Saint-Esprit, que c’est uniquement par le souffle de cet Esprit divin qu’il définit et propose ce qui doit être cru, il ne leur serait jamais venu en pensée que des choses non révélées ou nuisibles à l’Église pourraient y être définies, et ils ne s’imagineraient pas que des manœuvres humaines pourront arrêter la puissance du Saint-Esprit et empêcher la définition de choses révélées et utiles à l’Église.
Ils ne se persuaderaient pas qu’il ait été défendu de proposer aux Pères en la manière convenable, et dans le but de faire ressortir avec plus d’éclat la vérité par la discussion, les difficultés qu’ils auraient à opposer à telle ou telle définition. S’ils n’étaient conduits que par ce motif, ils s’abstiendraient de toutes les menées à l’aide desquelles on a coutume de capter les suffrages dans les assemblées populaires, et ils attendraient, dans la tranquillité et le respect, l’effet que doit produire la lumière d’en haut. C’est pourquoi Nous pensons que vous avez rendu un très utile service à l’Église en entreprenant la réfutation des principales assertions que l’on rencontre dans les écrits publiés sous cette influence ; et en mettant à découvert l’esprit de haine, la violence et l’artifice qui y règnent, vous avez accompli cette mûre avec une telle solidité, un tel éclat et une telle abondance d’arguments puisés dans l’antiquité sacrée et dans la science ecclésiastique, que, réunissant beaucoup de choses en peu de mots, vous avez enlevé tout prestige de sagesse à tous ceux qui avaient enveloppé leurs pensées sous des discours dépourvus de raison. En rétablissant la vérité de la foi, du bon droit et de l’histoire, vous avez pris en main l’intérêt des fidèles, tant de ceux qui possèdent l’instruction que de ceux qui en seraient dépourvus. Nous vous exprimons donc Notre gratitude particulière pour l’hommage que vous Nous avez fait de ce livre, et Nous présageons un heureux et très grand succès au fruit de vos veilles. Comme augure de ce succès, et comme gage de Notre bienveillance, Nous vous accordons avec une vive affection la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 12 mars 1870, l’an vingt-quatrième de Notre Pontificat.
PIUS P.P. IX
PRÉFACE
En publiant son livre Du Concile et de la paix religieuse, Mgr l’évêque de Sura a dû compter qu’il soulèverait plus d’une réclamation. On n’attaque pas le sentiment commun sur une matière aussi sérieuse, sans rencontrer des adversaires. Déjà de savantes répliques ont été faites, et l’auteur du livre, qui n’a pas assurément la prétention d’avoir clos d’un seul coup une si vaste controverse, ne doit ni s’en étonner, ni en concevoir de peine. Bossuet a consacré une partie de son génie et de ses efforts à soutenir les doctrines gallicanes ; il n’a pas réussi à les faire triompher. Leur, règne ne s’est jamais étendu, et le sol où elle ; avaient semblé un moment s’être naturalisées ne les produit plus guère aujourd’hui.
Par son ouvrage laborieusement composé, Mgr de Sura faisait appel à tous les amis de la science ecclésiastique. S’il présentait un mémoire au Concile, il adressait en même temps un livre au public. J’ai pensé qu’à la suite de beaucoup d’autres, il m’était permis aussi de peser la valeur des arguments produits en faveur de doctrines que j’ai étudiées contradictoirement toute ma vie. Je regrette seulement qu’un état d’infirmité ait ralenti mon travail, et m’ait empêché d’arriver il la défense des principes romains aussi promptement que je l’aurais souhaité.
Il est vrai que, dans le cours de mon labeur. plusieurs incidents se sont produits, et m’ont amené à étendre un peu les dimensions de cette polémique que. Je suis loin de m’en plaindre. La matière est assez grave pour mériter d’être traitée sous toutes ses faces. J’ai procédé avec la liberté qui convient à un théologien ; en ces jours où les derniers partisans des maximes gallicanes réclament si fort la liberté que personne ne leur dénie, ils ne sauraient trouver mauvais que ceux qui ont d’autres convictions ne s’en montrent pas moins jaloux.
Je n’ai pas cru devoir insister dans le corps de ce mémoire sur un fait personnel ; Mgr de Sura trouvera bon que j’en dise un mot dans cette Préface. Il se glorifie d’avoir pour son opinion l’autorité de trois Cardinaux français qui ont été nos contemporains : le Cardinal de Bausset, le Cardinal de La Luzerne et le Cardinal d’Astros 1 . Je ferai ici un peu d’histoire littéraire sur ces trois illustres personnages.
Le Cardinal de Bausset, après avoir publié son Histoire de Fénelon, fut vivement sollicité par les admirateurs de ce beau livre de consacrer à Bossuet une monographie semblable. Il céda aux instances, et donna son Histoire de Bossuet. Dans ce livre, qui est loin d’être à la hauteur du premier, il donna pleine carrière à ses préjugés gallicans, et en vint jusqu’à présenter la Déclaration de 1682 comme le premier titre de gloire pour l’évêque de Meaux. Il semble pourtant que le Discours sur l’histoire universelle, l’Histoire des variations, les Oraisons funèbres, sans parler du reste, sont encore audessus. Quant aux récits du Cardinal de Bausset sur la célèbre assemblée, sur les éléments qui la composèrent et sur les influences qui la firent agir, il serais impossible de les soutenir aujourd’hui. Les travaux historiques opérés depuis vingt ans sur le XVlle Siècle, ont révélé une situation trop différente de celle que l’on admettait de convention à l’époque où parut l’Histoire de Bossuet.
Mgr de Sura semble professer une sécurité complète sur les principes du Cardinal de La Luzerne. Il serait bon cependant de tenir compte des écarts de doctrine dans lesquels est tombée cette Éminence. Le Cardinal de La Luzerne n’a pas publié seulement l’apologie des quatre Articles de 1682, ouvrage qui ne fait guère que reproduire en français les arguments de Bossuet dans sa Defensio, à part certaines hardiesses que l’évêque de Meaux ne se fût pas permises. Il est encore l’auteur des Instructions sur le Rituel de Langres, ouvrage rempli d’erreurs graves, spécialement sur le Mariage, qui décidèrent l’Ami de la Religion, journal non suspect d’ultramontanisme, à insérer deux articles sévères contre ce livre hétérodoxe 2 .
Le Cardinal d’Astros a pu être favorable aux doctrines gallicanes ; mais il est certain qu’il n’a rien laissé d’écrit en faveur de la Déclaration de 1682. C’est donc avec une véritable surprise qu’on a vu Mgr de Sura l’adjoindre comme un des vaillants témoins du gallicanisme aux cardinaux de Bausset et de La Luzerne. Il le gratifie d’un ouvrage intitulé : L’Église de France. Toulouse, 1843. Un lecteur qui n’est pas au fait de la polémique qui s’éleva en 1843 et continua quelles années encore, se figurera que ce titre indique un livre consacré à la défense des maximes gallicanes. Il n’en est rien cependant. Voici le titre du livre du Cardinal d’Astros : L’ÉGLISE DE FRANCE INJUSTEMENT FLÉTRIE DANS UN OUVRAGE AYANT POUR TITRE : Institutions liturgiques. Ce volume auquel l’auteur inculpé a répondu page pour page, ne renferme pas une ligne en faveur des doctrines gallicanes. Mgr d’Astros, qui n’avait pas encore alors revêtu la pourpre romaine, se borne uniquement à faire l’apologie des nouveaux Bréviaires et des nouveaux Missels qu’avaient attaqués les Institutions liturgiques.
En revenant sur ce souvenir, je n’ai nulle envie de rappeler les combats d’une époque déjà loin de nous. L’Église de France est rentrée sous les lois de la Liturgie romaine. J’ai béni Dieu de cette révolution pacifique, et cela m’était permis comme à tout autre ; mais on ne m’a jamais entendu insister sur les circonstances dans lesquelles elle s’est accomplie, moins encore sur la part que j’ai pu y prendre. Si j’en rappelle quelque chose aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’il m’a semblé juste d’enlever au Cardinal d’Astros une responsabilité qu’il n’a pas encourue.
DE LA MONARCHIE PONTIFICALE
A PROPOS DU LIVRE DE MGR L’ÉVÊQUE DE SURA
La publication du livre de Mgr l’évêque de Sura, Du Concile général et de la paix religieuse, n’est pas un événement ordinaire. En émettant cette assertion, je ne veux pas dire que, dans l’ordre pratique, cet ouvrage soit destiné à opérer une révolution quelconque ; mais on peut dire de lui qu’il est appelé à porter l’attention sur certaines idées latentes et mal définies, dont l’éclaircissement officiel pourrait bien devenir une nécessité par le fait de cette publication.
Nul ne sait ni ne peut savoir quel sera l’objet des définitions qui seront portées par le Concile œcuménique qui va bientôt se réunir dans le SaintEsprit ; mais tout porte à croire que la démarche éclatante que vient de faire Mgr l’évêque de Sura ne sera pas sans résultat sur le choix des matières que le jugement de l’infaillible assemblée pourrait faire passer de l’état de croyances plus au moins libres à celui de dogmes de foi théologique. Si ce résultat qui est toujours au profit du peuple chrétien, puisqu’il augmente la somme des vérités définies, se trouvait être défavorable aux doctrines soutenues avec tant d’ardeur par le prélat, on peut être assuré d’avance qu’il se réjouirait de sa défaite, parce que, à l’exemple de Fénelon, il y vernit l’avancement de la doctrine de la foi dont l’Église conquiert de siècle en siècle les développements, au moyen de ce progrès dont parle si éloquemment saint Vincent de Lérins, et qui consiste dans la succession jamais interrompue des définitions doctrinales.
Aucun théologien n’ignore que toute définition doctrinale a pour fondement la croyance ou la pratique antérieure de l’Église, soit qu’il s’agisse d’un dogme qui a été professé explicitement dès le premier jour, comme la divinité du Verbe que le concile de Nicée n’avait pas à faire passer de l’état de croyance plus ou moins libre à celui de vérité désormais obligatoire, mais à proclamer avec un accord et une solennité qui devaient affermir le peuple fidèle dans sa foi, et briser l’audace d’Anus et de ses sectateurs ; soit qu’il s’agisse d’une vérité révélée, longtemps crue implicitement dans une ou plusieurs autres qui la contiennent, et desquelles elle se dégage de siècle en siècle par l’action de l’Esprit Saint qui dirige en ce sens l’enseignement des pasteurs, la pensée laborieuse des docteurs et l’instinct du peuple fidèle.
Tant que le jugement n’est. pas prononcé, il n’y a pas lieu de s’étonner de voir des docteurs isolés s’attacher de bonne foi à soutenir une thèse qui plus tard sera condamnée. Ainsi l’aton vu à propos de l’immaculée Conception, vérité contestée durant plusieurs siècles par une école digne de respect, jusqu’à ce qu’enfin la maturité de la question rendit nécessaire cette définition qui fut reçue aux exclamations de l’Église.
Mgr l’Évêque de Sura, soutient avec une grande conviction les principes à la défense desquels il a consacré ses deux volumes. Il enseigne dans cet ouvrage que l’infaillibilité dans l’enseignement de la foi n’est pas un privilège personnel dans le Pontife romain ; que le Pontife romain n’est pas supérieur au Concile œcuménique ; enfin, qu’il n’est pas personnellement la source de la juridiction ecclésiastique. Ses théories l’entraînent à rechercher la nature véritable de la constitution de l’Église, qu’il pense n’être pas suffisamment connue et appréciée, et dont le complément, selon le prélat, est dans la convocation et la tenue périodique des conciles œcuméniques.
Il faudrait un livre d’une dimension quadruple de celui de Mgr de Sure,., pour élucider toutes les questions de fait qu’on y trouve rassemblées. Heureusement ce travail est inutile ; dès longtemps il a été répondu péremptoirement à toutes les difficultés historiques à l’aide desquelles le gallicanisme essaya trop longtemps d’imposer à l’Église une autre, constitution que celle qu’elle a reçue de JésusChrist. Usant de la liberté que tout auteur donne à la critique sur un livre qu’il publie, je me permettrai de présenter ici quelques considérations sur les questions posées par Mgr l’évêque de Sura, en soumettant préalablement au lecteur divers préjugés qui me paraissent de nature à infirmer considérablement la portée du livre.