Considérations sur la liturgie catholique – 1er article

PROSPER Guéranger fut, dès sa sortie du séminaire, attaché à sa Grandeur Monseigneur l’évêque du Mans, comme secrétaire particulier. Monseigneur Claude de la Myre Mory affectionnait beaucoup le jeune sous-diacre, alors âgé de vingt et un ans. Il le nomma chanoine honoraire de sa Cathédrale immédiatement après son ordination sacerdotale, en 1827. Sur ces entrefaites l’évêque se démit de son siège, pour raison de santé. Le dévoué secrétaire, accepta, sur l’invitation de la famille, de suivre le prélat dans sa retraite à Paris. L’abbé Guéranger poursuivit ses études dans la capitale avec une nouvelle ardeur. il étudie afin de connaître et d’aimer toujours davantage la sainte Église. Il recherche avec amour ce qu’on a dit, ce qu’on a enseigné dans l’antiquité. La Tradition, tel est l’instrument à l’aide duquel il aspire à défendre les doctrines romaines. Ce jeune prêtre compte au plus vingt-cinq ans et il songe à entreprendre pour la défense de l’immortelle Épouse du Christ un vaste ouvrage historico-dogmatique.

Or ce fut pour se distraire de cet important travail que Prosper Guéranger écrivit, en 1830, les premiers articles qui ouvrent la série de ces mélanges. Il y traite la question liturgique. On ne lira pas sans étonnement ces pages où se révèle déjà celui que Pie IX nommait le restaurateur de la liturgie romaine en notre pays. D’un bond le débutant devient maître. Ce jeune prêtre avait rencontré le terrain que lui destinait la divine Providence. C’est avec le plus profond respect que nous avons recueilli ces premiers enseignements, donnés à une époque où les liturgies nouvelles avaient envahi la France entière. Cette parole fut la semence qui devait produire, du vivant même de l’auteur, des fruits merveilleux. Encore quarante-cinq ans de prières, de veilles, de labeurs et de luttes, et nous entendrons le Vicaire de Jésus-Christ déclarer sur la tombe de l’Abbé de Solesmes que ce vaillant défenseur de la vérité a bien conduit l’entreprise, et que c’est à ses écrits et en même temps à sa constance et à son habileté singulière, plus qu’à toute autre influence, qu’on doit d’avoir vu, avant sa mort, tous les diocèses de France embrasser les rites de l’Église romaine 1 .

 

CONSIDÉRATIONS SUR LA LITURGIE CATHOLIQUE

L’auteur dans quatre articles publiés dans le Mémorial catholique, établit la nécessité pour la liturgie de présenter, comme caractères distinctifs : l’antiquité, l’universalité, l’autorité et l’onction.

PREMIER ARTICLE (28 février 1830)

La liturgie, langage de l’Église, doit avoir pour caractère, l’antiquité. C’est la marque distinctive de la liturgie romaine. Est-ce le caractère de nos liturgies françaises ?

Parmi les diverses branches de la science ecclésiastique abandonnées de nos jours, par le malheur des temps, l’une des plus intéressantes est, sans contredit, l’étude de la liturgie. Tel est néanmoins l’esprit de ce siècle, que cette assertion semblera à plus d’un lecteur ecclésiastique hasardée et singulière. Les preuves cependant n’en seraient pas difficiles à fournir. Le culte est le corps de la religion ; par la même raison la liturgie en est l’expression, le langage ; donc point de connaissance parfaite de l’Église sans celle de la liturgie. En vain connaîtrez-vous un peuple dans ses principales habitudes, son génie, sa pensée ne se dévoileront tout à fait à vous que lorsque vous aurez pénétré les mystères de son langage.

Mais outre les causes générales de la décadence universelle, la cessation complète des études liturgiques parmi nous est le résultat d’une cause toute particulière, d’une cause qui devait nécessairement en entraîner la ruine, quand bien même un affreux bouleversement n’eût pas menacé d’éteindre entièrement le feu sacré dans notre malheureuse patrie. Depuis plus d’un siècle l’introduction des nouvelles liturgies dans l’Église de France préparait cet humiliant résultat. En effet quel moyen d’étudier une langue qui se divise chaque jour dans une multitude de dialectes qui n’ont entre eux aucun rapport, et tendent sans cesse à effacer les derniers traits de ressemblance qu’ils pourraient avoir conservés avec cette langue mère qui ne les reconnaît plus ?

Je sais que je vais heurter bien des préjugés et faire de l’opposition sur une matière qui semble n’être plus du domaine de la discussion ; mais on est toujours fort quand on a raison, et je défierai tout homme de sens, tout théologien de contester mes principes, comme tout logicien de se refuser à mes conséquences. Les vérités que je rappellerai choqueront des idées reçues ; mais qu’est-ce que cela fait ? Faut il donc toujours se taire .parce que l’on est sûr de n’être pas écouté ?

Je commencerai d’abord par protester de mon éloignement de toute intention hostile contre une institution que le haut point de vue d’où je la considérerai m’obligera quelquefois de qualifier sévèrement. Un siècle écoulé a sanctionné une œuvre téméraire dans son principe ; Rome, malgré le danger et l’inconvenance de pareilles innovations, n’a cru devoir en marquer son mécontentement que d’une manière indirecte et pleine de mesure. Ces Pontifes si ambitieux ont plus à cœur le désir de la paix et le salut des âmes que ne l’ont écrit certains canonistes français. En vain voudrait-on nous les montrer toujours armés de leurs foudres, semblables au Dieu qu’ils représentent : ils savent attendre, parce qu’ils veulent que personne ne périsse. Leurs fidèles enfants comprennent ce langage muet que l’orgueil et la révolte s’efforcent de ne point entendre. Mon but ne saurait donc être de troubler ceux que le droit ou la coutume obligent ou autorisent à répudier les livres de l’Église de Rome pour y substituer une liturgie diocésaine. Qu’ils continuent de le faire en paix à l’ombre de l’indulgence du Siège apostolique. je déclare aussi que je n’entends point poursuivre ici la liturgie d’un diocèse plutôt que celle d’un autre 2 . je suis, certes, éloigné de toute attaque personnelle, mais quand des principes dangereux ont été mis en pratique sous de beaux noms, il n’est pas bon que les hommes s’accoutument à les prendre pour des articles de foi.

Les considérations générales qui se présentent tout d’abord démontrent l’importance de la matière. Nous partirons toujours du même principe. La liturgie est la langue de l’Église, l’expression de sa foi, de ses vœux, de. ses hommages à Dieu ; donc premièrement l’antiquité doit être un de ses caractères essentiels. Toute liturgie que nous aurions vue commencer, qui n’eût point été celle de nos pères, ne saurait donc mériter ce nom. Un peuple n’est point arrivé jusqu’au dix-septième siècle de son existence sans avoir un langage suffisant à sa pensée, surtout quand ce peuple est nécessairement immuable.

Dès l’origine de l’Église chrétienne, un des premiers soins de ses fondateurs dut être, et fut en effet de déterminer les rites sacrés, les cérémonies extérieures, les prières du culte, enfin la liturgie. Les plus anciens monuments supposent l’existence d’un ordre complet dans toutes ces matières, et cependant aucun ne nous en assigne clairement l’origine précise. Tout se perd dans la nuit des temps, de ces temps, où, pleins encore des entretiens de l’Homme Dieu, ses premiers disciples s’occupaient à réaliser ses idées divines.

Lorsque l’Église sortit des Catacombes, elle en sortit avec sa liturgie telle que le secret des mystères et la durée successive des persécutions lui avaient permis de la développer. Mais bientôt, sous la protection des Césars, le christianisme élevant de toutes parts ses augustes basiliques, l’ensemble complet des rites sacrés comprimés jusqu’alors vint étonner les regards du paganisme vaincu et ajouter encore au triomphe de la vérité.

Dans l’Orient, on vit ces grands évêques, lumières de l’Église, consacrer leur piété, leur génie et leurs veilles à d’importants travaux sur la liturgie. Leurs noms augustes y demeurèrent attachés. L’héritage des siècles, recueilli par des mains discrètes et fidèles, fut encore enrichi. Ainsi se forma, dès le cinquième siècle, ce magnifique recueil de prières dans lequel l’oraison le dispute à la majesté. L’Église grecque garde encore soigneusement cette précieuse succession ; et ces accents, si touchants et si nobles, que, le jour et la nuit, des bouches schismatiques font monter vers le Ciel, retentirent, aux jours de l’unité, dans les temples de Constantinople, d’Antioche et d’Alexandrie. Arméniens, Coptes, Maronites, Éthiopiens, tous gardent comme un trésor inaliénable les paroles sacrées que leurs pères dans la foi consacrèrent au culte de l’Éternel. Leurs longs offices sont toujours les mêmes ; quand la vraie foi s’est enfuie loin de ces contrées, ils sont restés comme pour attester son passage. Tirons du moins une utile leçon de ce respect héréditaire des Églises de l’Orient pour l’antique liturgie, et reconnaissons-y une preuve de ce sentiment du christianisme qui ne s’éteint jamais tout à fait, sentiment d’éloignement pour toute innovation, tant que l’erreur, qui n’est elle-même qu’une innovation, croit pouvoir s’en passer.

Rome, siège inébranlable de la foi, ne donna pas de moindres preuves de son zèle pour le culte divin. Dès le quatrième siècle, le pape saint Damase et ses prédécesseurs avaient réuni les chants, les offices sacrés conservés par l’antique tradition romaine. C’étaient les paroles des anciens Pontifes, scellées de leur sang, empreintes de leur piété, consacrées par tout le poids de leur autorité suprême. Cette Église heureuse sur les fondements de laquelle, suivant l’expression de Tertullien, Pierre et Paul avaient répandu leur doctrine avec leur sang, cette Église première n’eut qu’à consulter ses glorieux souvenirs pour former un corps complet de liturgie, et les temples bâtis par Constantin virent commencer dans leur enceinte, pour ne plus les voir interrompre, les solennités de cette année chrétienne dont la gloire auguste laisse bien loin derrière elle les pompes néanmoins si poétiques de Rome païenne. L’Église émancipée aux dépens Je son propre sang, eut enfin une langue digne d’elle, langue divine, qui pouvait s’enrichir par le cours des siècles, mais qui ne pouvait plus rien perdre. Ainsi tout eut son expression, les confessions de sa foi, les soupirs de son espérance, les ardeurs de son amour, les gloires de ses triomphes, les besoins de ses enfants, les gémissements de ses pécheurs. L’Église parle pour les siècles ; pour elle, point de vicissitudes : sa voix est toujours la même. Dès son premier jour, elle sut tout dire à son divin Époux.

O vous qui aimez à étudier l’antiquité chrétienne, qui êtes sensibles à ses admirables souvenirs, vous qui sentez que cette religion seule est véritable et divine, qui est en possession du passé, lisez, goûtez les restes de cette antiquité parvenue jusqu’à nous, dans les trésors vénérables de la liturgie romaine. Les plus grands Papes y ont mis successivement la main. Après saint Damase, saint Gélase, et plus tard saint Grégoire le Grand en disposèrent les diverses parties. Au onzième siècle, un pontife auquel aucun genre de gloire n’a manqué, un des plus grands hommes de l’Eglise, saint Grégoire VII, consacra ses glorieux loisirs à des travaux du même genre et sut maintenir dans sa pureté primitive ce dépôt sacré que l’ignorance et la barbarie auraient altéré sans sa vigilance. Plus tard, cédant au vœu du concile de Trente, saint Pie V ordonna une révision du missel et du bréviaire romains, qui furent encore une fois rapprochés des sources de l’antiquité et fixés à la forme où nous les avons maintenant.

Et quand bien même nous n’aurions pas pour l’attester l’histoire et les monuments, quand bien même le sacramentaire, l’antiphonaire, le livre responsorial de saint Grégoire, ne seraient pas parvenus jusqu’à nous conformes en toutes choses à notre liturgie actuelle qui n’en est que l’abrégé, pourrait-il nous rester des doutes sur la haute antiquité des offices romains à l’aspect de ces répons, de ces antiennes entièrement composés des paroles de l’ancienne Vulgate dont la religieuse et apostolique simplicité est bien antérieure au siècle de saint Jérôme ? et cette division des psaumes tracée par ce saint docteur, sur la demande du pape Damase, d’après les usages antiques et qui nous rappelle les veilles des premiers chrétiens ; et cette simplicité des offices, si éloignée de cette confusion de propres dont regorgent les nouveaux bréviaires ; ce style mystérieux, inimitable et profond des collectes et des autres formules déprécatoires ; ces hymnes composées par un grand évêque, dans la basilique ambrosienne, pour Occuper saintement un peuple fidèle assiégé par une princesse furieuse ; ces hymnes des Prudence, des Sédulius, des Grégoire, des Hilaire, qui cachent sous leur simplicité apparente une oraison intarissable pour les cœurs chrétiens ; les rites mystérieux de la grande semaine, les impropères du vendredi saint, les solennités de la nuit de Pâques conservées intactes de mutilations et retraçant d’une manière si touchante le jour où l’heureux catéchumène voyait enfin s’abaisser devant lui les barrières du sanctuaire ; les livres de l’Écriture distribués suivant l’ordre qu’observaient les saints docteurs dans leurs homélies, et rappelant par cette division la magnifique série des chefs-d’œuvre de l’éloquence chrétienne : on ne tarirait pas si l’on voulait retracer tous les avantages de la liturgie romaine sous le seul rapport de l’antiquité.

Parlerai-je des chants sublimes qui nous sont parvenus avec ces admirables prières ? Je pourrais citer ici le témoignage des musiciens français et étrangers les plus célèbres, qui ont exalté à l’envi cette mélodie antique et religieuse qui, sans le secours de la mesure, produit des émotions si vives et si profondes. Je pourrais attester des auteurs protestants aux oreilles desquels les chants de l’Église romaine n’ont jamais retenti sans faire vibrer la corde catholique. Eh ! qui n’a tressailli mille fois aux accents de cette musique grave, qui malgré son caractère sévère, s’anime du feu des passions et jette l’âme agrandie dans une rêverie religieuse mille fois plus enivrante que la voix imposante des grandes eaux dont parle l’Écriture ? Qui n’a goûté le charme de tant de morceaux sublimes ou originaux, empreints du génie des siècles qui ne sont plus et n’ont pas laissé d’autres traces ? Qui n’a frémi au simple plain-chant de l’office des morts où le tendre et le terrible sont si admirablement mêlés ? Quel chrétien a jamais pu écouter le chant pascal de l’Hoec dies sans éprouver un sentiment vague de l’infini, comme si Jéhovah lui-même faisait retentir sa voix majestueuse ? Et qui jamais a entendu, aux solennités de l’Assomption et de la Toussaint, un peuple entier faire résonner les voûtes sacrées des accents inspirés du Gaudeamus, sans se trouver reporté, à travers les âges, à l’époque où les échos de Rome souterraine retentissaient de ce chant triomphal, alors que I’empire achevant péniblement sa course, l’Église commençait ses destinées éternelles.

La liturgie romaine possède donc la première qualité de toute liturgie, l’antiquité. Née pour ainsi dire avec l’Église, elle est destinée à lui servir de langage ici-bas, jusqu’au jour où, tous les voiles étant tombés, les cantiques de la terre seront remplacés par l’Alléluia éternel qui doit célébrer à jamais l’union de l’Épouse et de l’Époux.

Maintenant si nous voulons appliquer les mêmes principes à toutes ces liturgies nouvelles qui se partagent l’Église de France, nous trouvons matière au plus affligeant parallèle. Au milieu de cette bigarrure singulière, où trouver l’éternelle parole de l’Église éternelle ! Je vois une Église s’enorgueillir d’un siècle de possession ; d’autres plus modestes compter jusqu’à soixante, cinquante, quarante années ; quelques-unes plus humbles encore ne justifier que de dix, de quatre ans, d’un an même. Le dirai-je ? il est des Églises en France, j’en pourrais citer jusqu’à deux, et je n’ai pas fait de recherches spéciales, il en est qui l’année prochaine, avec le secours des imprimeurs, se trouveront en mesure pour dater de 1831 les nouvelles liturgies que leurs habiles construisent de fond en comble dans le silence du cabinet.

Eh ! leur demanderai-je, que faisiez-vous avant tous ces changements ? Avec qui priez-vous, il y a deux siècles ? avec l’Église romaine. Vos offices, si l’on en excepte les saints dont le culte est le patrimoine particulier de chaque diocèse, vos offices n’étaient-ils pas les siens ? Pourquoi l’avez-vous répudiée cette mère des Églises ? Pourquoi avez-vous repoussé la communion de ses prières ? Craigniez-vous ses bénédictions ? Espériez-vous que vos voix séparées de la sienne feraient un concert plus agréable à l’Éternel ?

Tel est cependant l’artifice des sexes, que les prestiges dont elles se servent pour arriver à leurs fins coupables séduisent quelquefois jusqu’à leurs ennemis. Après un siècle il est permis sans doute de juger ces changements. L’histoire qui nous apprend quels en furent les auteurs, nous apprend aussi à apprécier leurs intentions. Qu’on se rappelle les noms des principaux instigateurs de ces nouveautés, l’appui sacrilège que leur prêtèrent les parlements, les réclamations qui s’élevèrent dans le temps même sur la tendance qu’on voulait imprimer à une entreprise toute de coterie. La secte janséniste avait pour premier but de rompre avec l’antiquité, tout en la préconisant. Voilà le secret de ses immenses travaux. Le passé l’embarrassait ; il fallait rompre avec lui, tout créer, donner une nouvelle direction, et préparer les esprits à d’autres changements plus importants, en brisant un des liens qui unissent les Églises au Siège apostolique.

A Dieu ne plaise que je veuille ici flétrir tant de saints pontifes et de vertueux prêtres qui se laissèrent prendre aux belles apparences dont on sut colorer des intentions criminelles ! On ne parlait que de faire refleurir le culte divin, de déposer dans les nouveaux bréviaires la fleur de l’antiquité. Je voudrais que ces vérités fussent moins dures, mais, pour être ignorés, oubliés, ou méconnus, des faits n’en sont pas moins des faits. On ne revient pas de son étonnement quand on songe qu’après dix-sept siècles une Église particulière osa faire de la liturgie de l’Église universelle la critique si sanglante, que d’en bâtir une autre de fond en comble. Fait vraiment inexplicable, si l’on ne connaissait la mobilité du caractère français et la facilité avec laquelle on peut par de belles phrases faire oublier les principes les plus sacrés.

Que l’on ne croie pas cependant que cette révolution put s’opérer sans un grand scandale pour le peuple fidèle. Dans les siècles de foi l’Église en eût été bouleversée. Les chrétiens auraient supplié leurs pasteurs de leur laisser ces prières, ces chants héréditaires qu’ils avaient reçus, pour ainsi dire, avec le christianisme, dans lesquels s’étaient endormis leurs pères, dont leurs temples avaient jusqu’alors retenti.

Le sentiment catholique plus fort que tout le reste leur eût fait apprécier à leur juste valeur ces plans de perfectionnement, ces projets d’amélioration si bien qualifiés par un écrivain peu suspect de nos jours. Après avoir assigné l’époque où pour la première fois on osa toucher au bréviaire romain, il ajoute : « Sous le prétexte de perfectionnement, « l’esprit d’innovation a toujours été croissant ; encore quelques améliorations et la majestueuse simplicité des temps « antiques aura complètement disparu 3 . »

Mais au moins, dira-t-on, l’idée était belle. On voulait une liturgie entièrement composée des paroles de l’Écriture : quoi de plus convenable et de plus digne de la sainteté du culte divin ? Votre idée était belle ; mais comment l’Église ne l’a-t-elle pas conçue avant vous ? pourquoi, dans ses plus beaux siècles, a-t-elle voulu si souvent consacrer ses propres accents à louer son divin Époux ? Prôneurs de l’antiquité, savez-vous quels siècles déposent contre vous ? Votre idée était belle ; mais votre intention était-elle pure ? d’où vous venait cet enthousiasme, cette ardeur qui vous portait ainsi à substituer l’Écriture sainte à tout le reste ? Déjà votre zèle avait paru suspect à la mère des Églises. Vos traductions, votre ardeur à prêcher la lecture des livres saints, avaient été solennellement flétries par elle. De toutes parts on vous reproche une odieuse parenté. Ne soyez donc pas étonnés si nous redoutons vos présents.

D’ailleurs où avez-vous pris que nous ne puissions adresser à Dieu d’autres prières que celles de l’Écriture ? Il est vrai que vous avez le secret de lui faire exprimer tout ce que vous voulez. Mais, encore une fois, l’Église n’a point tant d’esprit. Elle aussi sait prier ; elle aussi s’entend à célébrer ses mystères. Souvent elle choisit les saints livres pour interpréter ses sentiments. Elle a même le droit, que vous n’avez pas, de consacrer et de rendre respectables les applications qu’elle en fait. Mais souvent aussi elle parle de son propre fonds, et ses paroles augustes retentissent au fond du cœur de ses enfants. L’Écriture est toujours entre nos mains ; ne refusons pas les développements précieux que l’Épouse de l’Esprit Saint lui donne dans les moments de son inspiration.

Terminons ces réflexions par un mot sur la mélodie des nouveaux offices. De nouvelles paroles exigeaient un nouveau chant. Mais le travail était immense. Tout autre esprit que l’esprit de parti eût reculé devant une pareille entreprise. On se mit cependant à l’ouvrage, et l’on vit éclore une multitude de morceaux, chefs-d’œuvre d’ennui, de nullité et de mauvais goût. Parmi les diocèses les plus malheureux sous ce rapport, Paris tient sans contredit le premier rang. L’abbé Lebeuf, savant compilateur, fut chargé de noter l’antiphonaire et le graduel de Paris. Après avoir passé dix ans à placer des notes sur des lignes, et des lignes sous des notes, il fit présent au clergé de la capitale d’une composition monstrueuse, dont presque tous les morceaux sont aussi fatigants à exécuter qu’à entendre. Dieu voulut aussi faire sentir par là qu’il est des choses que l’on n’imite pas, parce qu’on ne doit jamais les changer.

  1.      Bref Ecclesiasticis viris, 19 mars 1875.[]
  2.      Que l’on ne croie donc point que nous voulions attaquer ici la liturgie parisienne. Si nous n’ignorons pas l’esprit qui lui donna naissance, nous connaissons aussi celui qui a présidé à ses dernières améliorations, et nous savons lui rendre justice. Désormais pleinement orthodoxe, elle n’a contre elle que certains principes généraux auxquels d’ailleurs elle ne pourrait faire satisfaction qu’en cessant d’exister[]
  3.      Bibliothèque choisie des Pères de l’Église, par M. l’Abbé Guillon, t. XXXIII, p. 270, édition in-12[]

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