DEUXIÈME CONFÉRENCE
SOMMAIRE.
Résumé des principes déjà établis —Tout homme est-il apte à arriver à la vie mystique—Danger qu’il y aurait à ne pas correspondre à l’appel de Dieu.- Beaucoup d’âmes se laissent décourager par l’ascèse, qui est pourtant un devoir pour l’homme pécheur. — Nul n’aura part à la récompense éternelle, qu’autant qu’il aura reproduit l’image de Notre-Seigneur. — Différentes connaissances qu’exige l’étude de la théologie mystique qui est une science en même temps qu’un excitatif. – Aucune n’est plus utile que l’étude de la Vie des Saints, si on ne la sépare jamais des principes théologiques.
La semaine dernière, mes frères, nous avons posé les principes de la doctrine spirituelle. Nous avons établi comment il y avait deux ordres superposés dans la partie la plus élevée du christianisme, comme clans celle qui est à la portée du plus grand nombre. A cette dernière appartient la théologie dogmatique et morale, à l’ autre la théologie ascétique et mystique. Nous avons dit comment elles sont enchaînées I’ une à l’autre, la théologie mystique reposant sur la théologie dogmatique et la théologie ascétique sur la théologie morale ; nous avons vu qu’on ne possède une connaissance complète du christianisme qu’en réunissant chacune des parties à l’autre. Nous avons dit également que la fin de l’homme était Dieu donné et contemplé au ciel durant l’éternité ; mais que dès icibas il y avait un ordre de grâces ou de faveurs spéciales par lequel l’homme est mis en possession de Dieu d’une manière particulière, et que tel était l’objet de la théologie mystique. Cet ordre n’est pas simplement celui de la grâce sanctifiante; c’est un progrès et nous avons dit qu’on ne pouvait pénétrer dans cette région élevée qu’en passant par l’Ascèse, c’est-à-dire par l’exercice des vertus pratiquées, non pas d’une manière capricieuse, mais dans leur ensemble et dans l’exactitude qu’elles réclament. Par là on arrive au rétablissement des puissances de l’homme dans l’état ou elles étaient quand notre premier père est sorti des mains de Dieu. La reconstruction de l’être primitif, tel est le produit de l’Ascèse. Alors 1′ homme devient susceptible de contemplation . Ce sont là des points très importants sans lesquels on ne comprend rien au christianisme.
Nous avons rappelé qu’il y a trois vies : la vie purgative, la vie illuminative et la vie unitive ; la première appartient à l’ascèse ; les deux autres appartiennent à la théologie mystique, et supposent des grâces infuses à différents degrés. Les facultés étant mises en œuvre par la vie purgative, ensuite Dieu se communique : en sorte que dans certaines âmes il ne manque que la vision proprement dite. Les auteurs sont très – confus sur ce sujet. Voilà des principes clairs et précis à l’aide desquels nous marcherons sûrement sur ce terrain.
MAINTENANT une question se présente. Tout homme est-il apte à arriver à la théologie et à la vie mystique, ou Dieu n’en a-t- il pas laissé un grand nombre qui ne peuvent en avoir qu’une notion très – implicite ? Il est difficile de répondre à cette question d’une manière catégorique. Si la vie mystique était la fin de tout homme sur la terre, comme la vision de Dieu l’est au ciel, il s’en suivrait que tout individu serait obligé de s’élever avec le secours de la grâce jusqu’à ces relations supérieures avec Dieu que nous avons peine à. comprendre.
CEPENDANT en envisageant les hommes comme ils sont, et en examinant comment ils honorent Dieu, on voit qu’un grand nombre font ce qu’il faut faire, et pourtant on ne trouve pas en eux la conduite et la marche spirituelles préordonnées par la grâce pour atteindre à la vie mystique, et ils ne seront pas répréhensibles pour cela. Par la pratique des âmes on peut se rendre compte de ce phénomène.
IL faut donc regarder cette tendance vers la théologie ou vie mystique comme un -appel de Dieu plutôt que comme la vocation de tous. Nous savons d’ailleurs que ceux qui sont ainsi appelés sont en nombre plus ou moins grand. Dieu ne cherche pas pour cela des circonstances extérieures, particulières. Des personnes sans culture arrivent à l’union avec Dieu par leur correspondance aux grâces qu’elles reçoivent , et leur fidélité dans les épreuves qu’elles subissent. quoique on ne puisse pas disconvenir que l’étude de l’Ecriture et de la théologie serve beaucoup , cependant on a vu élevées très-haut des personnes qui n’ont pas su lire. En tout cela il n’y a pas de catégories à faire. Voyez S. Thérèse dont nous célébrons aujourd’hui la fête, Dieu ne semblait pas l’avoir rendue propre à cette vie supérieure. Elle lutte avec elle-même pendant dix- huit ans, et ce n’est qu’au bout de cette longue épreuve que le rideau est déchiré et que Dieu se manifeste ; probablement il y avait en elle d’abord des réformes à faire. Cependant de saintes âmes se seraient contentées de l’état où elle était pour paraître devant Dieu. Ce fait est intéressant à constater.
IL y a un préjugé que l’on trouve dans beaucoup de livres spirituels et entre autres dans l’ouvrage du Père Scaramelli. Cet auteur avance cette proposition qui ne se soutient pas ; c’est que l’âme n’arrive à l’union avec Dieu que dans les personnes vivant en dehors des devoirs sociaux et d’une façon séparée ; en sorte qu’il n’y a pas à compter sur cette élévation de la vie quand on est dans l’ordre commun. C’est là une erreur, parce qu’il ne dépend pas des personnes d’être affranchies de tous les devoirs sociaux et Dieu qui est bon ne peut pas faire dépendre des choses si importantes de circonstances en dehors des personnes. Nous avons du reste la réponse’ à cette question dans les vies des Pères du désert . Dieu fit connaître à quelques – uns de ces grands ‘ascètes et grands mystiques du désert que de simples laïques’, des cabaretiers , des ménétriers étaient plus élevés qu’eux. Tout le monde n’est pas ménétrier ni cabaretier ; mais nous concluons nécessairement de là que beaucoup de gens , exerçant des professions moins étranges , quoique engagés dans la vie du monde, ont pu atteindre à l’union divine. L’ esprit moderne veut saisir rationnellement les œuvres de Dieu et il arrive qu’ on se trompe.
IL y a des personnes très- pieuses qui paraissent propres à la vie mystique qui cependant ne montent pas haut. D’autres au contraire qui n’y paraissent pas très propres vont très haut ; Dieu leur laisse des imperfections pour les maintenir dans l’humilité ;
cela n’empêche pas le rayon céleste de descendre en eux.
EN faisant ainsi une revue des principes, on arrive à des choses simples claires, à une doctrine sûre. Nous n’aurions pas voulu nous lancer sur ce terrain il y a quarante ans ; mais l’étude, Ta pratique, le gouvernement des âmes instruisent peu à peu ; on résume tout cela maintenant que l’on est vieux. Ce sujet nous mènera très loin. Il faut savoir se démêler au milieu du labyrinthe des livres spirituels. Les modernes représentent plutôt la pensée de leurs auteurs, l’esprit y joue trop. Le Père Guilloré, par exemple, fait des études de mœurs Alors on se laisse aller à des excursions, on sort de la ligne et on perd la trame. L’important est de se tenir très près de la théologie.
Pour le côté pratique quelle est la fin que se doit proposer l’homme? Si Dieu l’avait appelé à cette union et qu’il eut méprisé cette vocation n’exposerait-il pas son salut? Je ne voudrais pas en répondre. Il y a des âmes qui sont tombées pour ne pas s’être élevées à Dieu les appelait et qui auraient été très loin si elles eussent été fidèles.
Ce qui détourne les hommes ordinairement c’est l’Ascèse. Dans la vie mystique l’homme est passif, mais dans la vie ascétique, il est actif contre lui même. Souvent il se décourage et coupe court ainsi à toute la suite. Il suit de là une chose, c’est que la voie purgative n’est pas seulement un fait, mais un devoir pour l’homme pécheur. L’homme a reçu la grâce médicinale, mais il a pour le moins de mauvais penchants ; et la vie purgative lui est nécessaire pain- le mettre plus en état de paraître devant Dieu. Il faut, pour qu’il nous reçoive bien, l’exemption du péché, il faut que nous ayons acquis des mérites ; nous devons, comme le bon serviteur, avoir fait fructifier les talents que le Seigneur nous a confiés. Or la plupart des hommes s’arrêtent dans la vie purgative ; souvent il leur reste beaucoup à faire dans le purgatoire, et ils ont grand besoin de la miséricorde divine.
IL y a une obligation pour tout homme de purifier son âme, d’effacer ses vices, et d’acquérir des vertus. Tout cela avance dans l’ascèse tient à la vie purgative. Si cet effort est sérieux, et si on a le désir de connaître Dieu et de le posséder, il est comme impossible qu’on n’arrive pas .à. .quelques .rayons de la vie mystique. Mais pour cela il ne faut pas vivre au jour le jour, il faut se proposer un but, qui est l’imitation de J.C.. Notre Seigneur ne s’est pas seulement donné à nous comme médiateur, comme rédempteur de nos péchés, mais encore comme type de l’homme nouveau. L’Apôtre nous dit que ceux que Dieu a prédestinés ont reçu cette faveur Comme étant conformes à l’image de son Fils. On ne peut s’abstraire de cela ; c’est de toute nécessité. Quelle que soit la faiblesse du degré de vertu que l’homme apporte au jugement de Dieu, il n’aura de part à la récompense qu’autant qu’il aura imité J Christ. Pour celui-là même, qui ne se rapproche de Dieu que dans ses derniers moments, il n’est sauvé que par la fusion avec N. S. ; mais comme cette reproduction, cette imitation a été très incomplète, » il lui faudra un long temps pour réparer ce défaut. dans le purgatoire.
Concluons que si tous ne sont pas appelés à la vie mystique, tous ‘le sont à la vie ascétique, à la réforme d’eux-mêmes et à l’imitation de N.-S,. Jésus-Christ proposé comme type à tous les chrétiens.
LA Théologie. mystique est une étude en même temps qu’un excitatif à bien faire. Pour se la représenter comme il convient , il faut la voir en jeu., il faut des principes. Il est nécessaire d’avoir une connaissance de l’homme intérieur et de l’homme extérieur, de la psychologie et de la physiologie. Nous sommes des composés de corps et d’âme ; et nous sommes faits à l’image de Dieu dans la totalité- de notre être ; il faut que l’élément surnaturel nous transforme d’un comté comme de l’autre. Il suit de là un grand nombre de questions qui toutes ont un but pratique. Il importe de ne pas rester dans le vague. Dans la vie spirituelle il faut savoir pourquoi on fait telle chose, se rendre compte que ceci est bon , que cela est utile ; et par dessus tout , se garantir des idées fausses.
LA vie des saints est utile à étudier sous ce rapport. Ils se sont sanctifiés et Dieu a régné en eux parce qu’ils ont été ascètes. Ils sont arrivés ainsi à l’exemption des vices, à l’acquisition des vertus: mais au-dessus des saints, il y a les principes de la théologie. En se basant sur les saints on arriverait souvent à 1′ impossible. Tel saint allait comme licites et bonnes des choses que d’autres regardaient comme mauvaises. Ils étaient tous dans le vrai à cause de 1′ intention , mais ils n’ y étaient pas tous dans le fait. C’est la suite de la faiblesse humaine , de la trempe d’esprit , de l’ action du physique sur le moral. Rien de plus utile que la vie des saints pour l’ étude de la théologie mystique, mais si à l’ avance on n’ avait pas un criterium souvent on n’ y comprendrait rien. Par exemple, nous fêtons aujourd’hui Sainte Thérèse. La mère Anne de S. Barthélemy nous raconte que peu d’ instants avant de mourir la sainte remercia ses sœurs par un aimable sourire parce qu’ en lui avait donné des draps blancs. Eh bien ! autant Sainte Thérèse aimait la propreté , autant le B. Benoît Joseph Labre aimait à être sale. Comment faire pour les imiter tous les deux ? On ne peut suivre re les saints en tout ; à moins d’être à la fois propre par devant et sale par derrière !
CEPENDANT, je le répète, rien de plus utile que la vie des saints, quand on a des principes. Il est évident que S. Thérèse était dans le vrai, en remerciant ses sœurs par un sourire dont la mémoire leur est restée, parce qu’on lui avait donné du linge propre. Ce sentiment était dans l’ordre de la volonté de Dieu qui veut que les choses soient faites comme elles doivent l’être, tandis que le B. Joseph Labre y voyait un danger. Il craignait l’orgueil et aimait mieux chercher le désordre dans son extérieur afin de le fuir dans son intérieur ; et cela légitime ce qui pourrait être mal. Tous Ies deux sont appuyés sur des principes ; mais le premier exemple est. plus facile à justifier parce qu’il ne suppose pas la présence du mal ou le péril du mal. Dans l’autre au contraire nous voyons un homme qui ne peut pas se tenir dans la ligne du vrai, parce qu’il a à craindre un péril. Il redoute des mouvements dont il a l’expérience.
Nous maintenons donc ce que nous avons dit. Rien n’est plus utile que la vie des saints ; et il y en a dans lesquels on trouve une parfaite homogénéité. Mais il y a des exceptions dont il. faut se- rendre compte. Par suite de la misère de l’homme, il n’y a plus d’équilibre ; et pour éviter le péché, le saint dévie quelquefois dans, l’extérieur, mais l’intention est toujours bonne.
CE résumé était nécessaire avant d’ aller plus loin.