VINGT-SIXIÈME CONFÉRENCE.
SOMMAIRE
Explication de cette parole de Notre-Seigneur : oportet semper orare. — Ce que l’on appelle de nos jours l’Exercice de la présence de Dieu.— Que la perfection dans la vie spirituelle ne gît pas dans cet exercice, tel que beaucoup le pratiquent. — Comment Dieu veut être dans l’âme des siens. — De l’oraison. — Obstacles que trouve l’esprit à l’union entre Dieu et l’homme. — Le cœur ne doit jamais dormir. Il a pourtant aussi ses défaillances, suites du péché. — Remède pour l’esprit et le cœur
Nous avions dit, dans notre dernière conférence, comment le chrétien jaloux de s’unir à Dieu, doit avoir recours à la prière. Cela nous a fourni l’occasion d’entrer dans l’essence même de la prière et nous a fait voir qu’elle n’est pas un acte égoïste ; qu’on ne pouvait pas la considérer simplement comme un moyen pour recourir à Dieu parce qu’il est plus riche que nous et qu’il est bienfaisant ; et que pour être digne de Dieu, la prière devait renfermer autre chose.
ASSURÉMENT quand nous nous occupons du règne de Dieu dans les populations qui nous sont confiées, nous croyons déjà avoir gagné beaucoup, si nous pouvons accoutumer les gens à se tourner vers Dieu quand ils ont des besoins. Mais autre chose est d’avoir une teinture de christianisme, autre chose est de nous établir dans un état qui nous mette en rapport avec Dieu selon ses intentions sur nous. C’est beaucoup quand on peut amener les fidèles d’une paroisse à prier Dieu pour être secourus dans leurs besoins ; car il y en a beaucoup qui ne font pas même cela, et en somme cette démarche honore Dieu ; elle est conforme à l’ordre, mais elle n’exprime pas suffisamment les relations que nous devons avoir avec Dieu. Nous avons à nous occuper d’abord de l’adoration envers le souverain Être ; puis de l’action de grâces pour les bienfaits reçus ; et en troisième lieu, de la demande pour nos besoins à nous, pauvres petites créatures. La prière ainsi conçue fait que celui qui expose ses besoins ne le fait pas sans adorer, sans remercier. Et c’est seulement après ces deux actes plus ou moins explicites, plus ou moins implicites qu’il présente sa requête. Alors les relations sont bien établies ; et la prière est tout-à-fait conforme à l’intention de Dieu. Je vous citais le Pater Noster dans lequel on procède ainsi.
MAINTENANT allons plus loin. Dieu ne nous a pas donné la grâce sanctifiante ,il n’a pas fécondé l’âme du chrétien fidèle, pour qu’il se borne simplement à cette prière intermittente, mise en jeu seulement par les nécessités qui se présenteraient. Dans l’Évangile Notre-Seigneur a dit cette grande parole : » Oportet semper orare et non deficere » par là il nous ouvre une vue sur la prière qu’il nous montre comme devant être incessante. D’ailleurs l’Ancien comme le Nouveau Testament nous montrent que l’homme doit toujours être occupé de Dieu. Alors se dessine quelque chose dont nous n’avions pas idée. Dieu se présente à nous comme quelqu’un avec qui nous devons avoir société ; entre lui et nous doit exister un épanchement continu dans lequel paraît l’affection mutuelle. C’est comme une .sorte, de versement de l’un dans l’autre, et le contentement de l’âme. en est le résultat. Nunquam deficere, nous sommes avertis par cette parole que si notre prière doit être continuelle, c’est à cause de l’intimité que nous devons avoir avec Dieu. Or qu’est-ce que Dieu a voulu dans la sanctification de nos âmes ? Non pas seulement que nous recourions à lui de temps en temps, mais il a voulu encore établir une société, une familiarité entre lui et nous. C’est ce que dans les temps modernes, où l’on a recherché des mots nouveaux pour exprimer ce qui existait depuis longtemps, on a appelé l’exercice de la présence de Dieu. Vous comprenez combien cela est plus froid que les paroles de l’Écriture : » Habitabo cum illis, » la vie en commun. C’est une sorte de procédé, d’avertissement pour se dire : Dieu est présent, attention ! Cela indique l’effort, quelque chose qui correspond à la lumière que l’on a eue dans un moment, un besoin de se souvenir que Dieu est là. Tout cela est bon, si vous voulez, mais pris dans la région inférieure. Car pourquoi pratique-t-on cet exercice ? C’est pour que se souvenant de la présence de Dieu on ne soit pas porté à l’offenser, qu’on vive dans l’humilité, la pratique des vertus. Heureux donc celui qui agit ainsi parce que c’est déjà bien meilleur que de recourir seulement à Dieu pour ses besoins. Mais si on s’arrête là, l’appauvrissement spirituel se fait sentir. La petitesse de l’esprit humain y paraît bientôt ; c’est qu’il y en aura qui mettront des épingles dans leur manche, afin par la sensation d’être rappelés à la pensée de Dieu. Ainsi je vais attacher une épingle, ou bien quand l’horloge sonnera, je me rappellerai la pensée de Dieu ; mais si elle ne sonne pas, j’ai vacances ! Vous comprenez que ces personnes seront récompensées, parce que c’est un sentiment surnaturel qui les fait agir ; mais, somme toute, c’est à cent lieues de ce que nous dit Notre-Seigneur » Habitabo cum illis . . » paroles qui expriment une société avec Dieu. Car on ne peut vraiment pas dire que deux personnes s’aiment lorsqu’il leur faut des épingles pour se rappeler leur souvenir mutuel. On dira qu’elles en ont bonne envie, mais qu’elles n’ont pas le fondement de l’amitié. Il vaut mieux cela que rien, mais ce serait Une grande erreur que de prendre cela pour la perfection dans la vie spirituelle. On se figure encore beaucoup avancer. dans la piété parce qu’on a des graines noires dans sa poche, qu’on, les fait passer entre ses doigts ; après quoi on fait son compte à midi et le soir. Mais enfin, le Fils de Dieu ne s’est pas incarné pour que les hommes arrivent à enfiler des perles ainsi les unes après. les autres pour marquer leurs bonnes actions. Quand les gens sont. incapables de comprendre mieux, il faut bien se garder de leur dire que cela ne vaut rien , ce qui serait faux ; mais pour celui qui est, intelligent , il ne s’attachera pas à cette méthode ou il serait trop. resserré d’ condamné à aller toujours pédestrement ; car pour agir ainsi, assurément il n’aura pas besoin d’ailes. D’un autre côté, il ne faut pas croire qu’il faille être dans une exaltation extraordinaire . pour vivre dans l’union avec Dieu en N. S. J. C. Ah! ceci est tout autre chose; et quand S. Paul en parie, il n’est question ni de petites épingles, ni de ces affaires noires, mais il suppose l’homme épris de Dieu et n’ayant aucun effort à faire pour penser à l’objet de son affection. En vérité Dieu n’a – t – il pas assez fait pour que nous n’ayons plus besoin de machines pour aller à lui? On le sait bien, l’homme est sujet aux distractions; Dieu y a compté, pour remonter les rapports de nous à-lui, il féconde notre volonté par sa grâce. Quand on aime véritablement, on pense toujours à l’objet aimé. Voyez une mère, vous traitez une affaire avec elle; elle semble toute à ce qui se dit et se fait; mais que le nom de son enfant vienne à être prononcé, de suite on sent qu’elle ne l’avait pas perdu de vue. Un sentiment qui nous captive est toujours en nous ; nous n’en faisons pas usage en tel moment, mais il n’en règne pas moins. C’est ainsi que Dieu veut être dans l’âme des siens pour qui il a tant fait. Prenez toujours cette mère, puisque nous avons choisi cette comparaison. Supposez-la dans le repos, à quoi pensera-t- elle tout naturellement ? toujours à son enfant. Ainsi en est-il du chrétien ; quand il a un peu de liberté, que les affaires ne le pressent pas, où va son âme? à Dieu par son propre poids. Vous voyez que cela est plus parfait que de dire : pensons à Dieu car il a l’œil sur nous, ce qui n’acquitterait pas toutes les avances que Dieu nous a faites.
AINSI donc il faut nous laisser pénétrer de Dieu comme de quelqu’un que nous aimons. Il n’y a pas le moindre doute qu’au jugement Dieu nous montrera comment nous étions quand son affection pour nous le dominait , et il nous demandera pourquoi il n’a pas été traité de la même façon.
IL y a donc autre chose que la prière du chrétien, comprenant l’adoration, l’action de grâces et la demande. Il y a cette union de l’âme avec Dieu que dans la vie spirituelle on appelle l’oraison, C’est – à – dire la prière complète s’incorporant à l’homme, et qui est comme une fusion entre Dieu et lui , entre la Créature et son Créateur. Si nous avons cette disposition, ce sentiment envers des amis, combien plus devons-nous l’avoir envers Dieu qui est notre fin. En effet on tend à sa fin nécessairement, sinon il y a désordre, il y a quelque chose qui barre le chemin, et Dieu n’est pas content. A quoi l’homme peut-il s’occuper ici-bas? Évidemment à atteindre sa fin. Tout être y tend, et l’homme n’a pas une autre destinée. Maintenant qu’est-ce que Dieu a fait pour l’homme ? Il a voulu s’enchaîner à sa créature, et l’enchaîner à lui, tout ce qu’il a fait tend à cela;