VINGT-CINQUIÈME CONFÉRENCE.
SOMMAIRE.
Le recours aux Sacrements et la Prière sont les deux ailes du chrétien. — Le chrétien doit toujours prier. — Des trois aspects de la prière : l’Adoration ; sa nature et sa nécessité. — Leçon que nous donne la Liturgie. — L’action de grâces;. sa nature, et sa dignité ; — combien elle est rare ; combien pourtant le champ en est vaste. — Utilité du Psautier pour nous aider et nous instruire dans l’adoration et l’action de grâces.-et La demande. Trop de gens ne prient que pour demander. — Il ne faut pas s’en tenir là; mais la demande honore aussi Dieu. — Ce n’est pas une grande perfection que de ne vouloir rien demander.
LA dernière fois nous nous étions demandés quels étaient les courants de grâce par lesquels le chrétien peut se soutenir et avancer dans la voie. Nous avions montré l’action directe du Fils de Dieu par les sacrements, nous nous étions arrêtés aux deux principaux, l’Eucharistie et la Pénitence, qui sont comme deux ailes par les quelles le chrétien soutient son vol. Nous avions observé que la matière est extrêmement vaste; et à cause de cela, nous nous sommes bornés à des généralités. Il y aurait pour des années à approfondir ces mystères qui ont pour objet J.-C. et dans l’Eucharistie, la présence même de N. S. en personne. Nous nous sommes bornés à des points pratiques et nous venons de suite au deuxième moyen de nous soutenir dans la voie chrétienne, qui est la prière.
LES sacrements sont pour des instants donnés ; tandis qu’il y a quelque chose de plus permanent : la prière. Les catéchismes et les théologies nous enseignent qu’il faut prier toujours. Avant N. S. Jésus-Christ, l’homme n’avait que la prière- pour aller à Dieu. Dans l’Ancien Testament, il n’y avait que des ombres et des figures (sacramenta futurorum) ; dans le nouveau, nous avons la, réalité. Nous disons donc qu’il y a un moyen aussi indispensable que les sacrements, que le chrétien met en œuvre, par lequel sa marche est assurée, en sorte que le terme désiré vient à la suite : c’est la prière. Voyez comment le Seigneur en parle :- « 0portet semper orare et numquam deficere ». Notre vie doit donc être une disposition -continuelle à la prière, c’est-à-dire que Pori n’a pas la notion du chrétien, si l’on sort de la pratique de la prière. Pourquoi cela? Parce que l’action de Dieu étant incessante sur nous, cette action provoque une corrélation, demande un retour, un mouvement de l’homme vers Dieu afin qu’il y ait jonction. Quand nous dormons nous ne prions pas ; c’est une soustraction faite à* l’intelligence et à la volonté. Mais en dehors du sommeil, il faut que nous prions sans cesse ,dur être dans notre état normal.
POUR bien savoir ce qu’est la prière, nous avons trois chose considérer. Ainsi nous la décomposerons d’une .manière exacte.
D’ABORD nous avons à considérer le principal , ce à quoi les Anges et les Saints sont occupés dans le ciel, ce qui est en même temps leur félicité et leur devoir : l’adoration, l’attitude du respect devant Dieu. Cette justice rendue à la majesté du Très-Haut doit être habituelle; et elle l’est, si l’âme, toutes les fois que la pensée de Dieu se présente, se réjouit que le Seigneur soit comblé de tant de perfections, reconnaît son propre néant et fait hommage’ â Dieu de son être. Tel est le premier devoir du chrétien.
A notre époque d’orgueil , on oublie le Créateur , on ne parle plus d’adoration, et on ne la rend pas plus qu’on n’en parle. La. conséquence, c’est que le sentiment de l’autorité s’efface; la soumission, l’obéissance ne sont plus comprises et disparaissent. L’adoration est la base de tout , la conduite des premiers chrétiens et la sainte Écriture nous le montrent. Elle est la base des sentiments chrétiens et de la famille, sans elle la société périt ; tandis que le christianisme bien compris, ramènerait tout.
IL s’agit donc de reconnaître que Dieu est grand, que nous> sommes de rien , que nos qualités procèdent de lui , et que tout se,. fait pour sa gloire. Il s’agit de reconnaître tout cela, de façon à, y trouver sa joie et son repos. C’est ce sentiment d’adoration que, l’Église veut nous enseigner dans la liturgie, par ces génuflexions. ces inclinations, etc..; et les chrétiens de nos, jours, sous ces côtés-là, sont bien arriérés ; de même que les protestants qui ont effacé, toutes ces marques de respect, ils restent dans un grand contentement de leur satisfaction personnelle, et rendent hommage au souverain être parce que cela leur plaît . Il faut donc nous soumettre aux règles de la liturgie, et ne pas faire du service divin quelque, chose de facultatif. Obéissons aux prescriptions de l’Église qui a la, clef de tout ce qui touche à Dieu. Comprenons notre devoir d’adorer, et n’imitons pas beaucoup de chrétiens qui ne prient Dieu que, s’ils ont besoin de lui , qui se croient en règle avec cela.
APRES l’adoration vient l’action de grâces. Nous sommes. comblés des bienfaits de Dieu , depuis la création jusqu’à la dernière grâce actuelle que nous venons de recevoir, il y a une minute, C’est pourquoi il doit y avoir en nous une disposition incessante à remercier et à rendre grâces. C’est là ce que Dieu exige de, nous le plus , après l’adoration. L’adoration est au-dessus, car par elle nous rendons justice à Dieu, en confessant son souverain être et en nous mettant à notre place. Mais après ce sentiment vient celui de l’action de grâces.
Si l’adoration est rare, l’action de grâces l’est beaucoup aussi . Voyez, c’est l’histoire des dix lépreux que N.-S. avait guéris. Un seul vint le remercier, et encore, fait remarquer l’Évangile, c’était un gentil . C’est ainsi que l’on fera sans cesse des neuvaines pour demander des grâces, et qu’on n’en fera pas pour remercier de la grâce reçue. J’emploie cette comparaison parce qu’elle trouve son application tous les jours. L’homme est égoïste par nature et n’est pas reconnaissant. Une faveur demandée et reçue dont on ne remercie pas, montre que l’on se cherche plus que Dieu, puisqu’on ne s’empresse pas de lui en rendre des actions de grâces.
LE thème de l’action de grâces est immense, car les grâces que nous avons reçues sont sans hombre. La création, la rédemption, la vocation à l’état surnaturel, le pardon de nos péchés, et en toutes rencontres, ces concours de grâces qui nous accompagnent et nous aident à consommer nos actes. On peut dire que la profusion des grâces est inextricable et pour ainsi dire dans une proportion à lasser l’action de grâces. Et cependant on rend peu de grâces à Dieu. Il y aurait un livre pour nous aider et nous instruire, c’est le Psautier, livre de la prière par excellence, si l’on n’en avait pas perdu le goût pour lire les petits livres. Avec les Psaumes, tantôt on adore, tantôt on remercie. Aussi l’Église, pour sa prière, n’a-t-elle rien trouvé de mieux que d’emprunter à la synagogue ce livre inspiré, plus fait pour elle que pour les Juifs. C’est le Saint-Esprit qui a inspiré ces cantiques; Dieu ne peut rien réclamer quand nous les lui offrons. Mais quelle déperdition de l’esprit des prière sous ce rapport. Combien maintenant on fait peu usage des Psaumes, même parmi les prêtes On récitera son bréviaire parce qu’on n’y est obligé sous peine de péché mortel, mais trop souvent on ne se croit aucunement obligé de le comprendre, et de faire des études pour cela. Il y a aussi un grand danger à faire les choses sans l’esprit qui les anime. Que ferons-nous au ciel ? Nous adorerons, mais aussi nous remercierons. Il importe de ne pas se mettre trop en retard pour commencer nos remerciements. Ils devraient être incessants, pour être dans la mesure des bienfaits reçus et conformes à la volonté de Dieu.
UN troisième aspect de la prière, c’est la demande. Je mets de Oté la réparation, l’amende honorable. Nous avons fait rentrer ce sentiment dans la, pénitence et la vertu de justice, bien qu’on puisse en parler ici. La réparation renferme en effet l’action de grâces et et demande parce. que nous avons reçu le pardon ou que nous le demandons.
C’EST une chose odieuse que tant de gens pieux ne prennent jamais pour objet de leurs prières que la demande, et encore souvent de bienfaits temporels. On pense qu’il y a un Dieu parce qu’un besoin se fait sentir!. Cette pratique est contraire à l’enseignement que N.-S. nous a donné dans le Pater. Ce n’est qu’après nous être occupés de la gloire de Dieu, après avoir demandé- la sanctification de son nom, l’avènement de son règne, l’exécution de sa volonté, que nous pensons à nous, en demandant le pain quotidien. Mais la, véritable voie est tellement perdue que beaucoup de personnes ne prieraient jamais, si elles n’avaient pas quelque chose à demande. Comme s’il n’y avait pas nécessité pour nous de rendre nos hommages au souverain Être et de reconnaître ses bienfaits! Il y a là une aberration immense. La bonté de Dieu fait que l’on obtient néanmoins quelquefois ce que l’on demande; mais aussi souvent notre prière n’obtient pas son effet parce qu’il nous manque la disposition de rendre à Dieu l’hommage qui lui est dû. La prière tourne à l’égoïsme. C’est toujours l’histoire des dix lépreux. Chacun d’eux est guéri par le bon maître et va se montrer au prêtre ; un seul revient vers le Seigneur, en sorte qu’il est blessé de l’oubli des neuf autres. Ce n’est pas qu’il ne faille pas demander ; au contraire Dieu s’en tient honoré; mais il ne faut pas se borner là. Par la demande nous honorons Dieu, nous témoignons notre dépendance vis-à-vis de lui. Lorsque la demande est un peu profonde dans son intention, elle renferme un hommage à Dieu, en reconnaissant que nous ne pouvons rien, que nous avons besoin de Lui en tout. Voilà pourquoi il s’y montre accessible, surtout si nous nous adressons à lui pour les intérêts de notre salut. Il nous accordera même nos. demandes temporelles, à moins qu’il ne juge plus à propos de nous donner des grâces plus avantageuses à notre âme. Mais Dieu n’est pas offensé de nos demandes ; il aime la simplicité est la confiance, et nous accordera même la guérison d’un animal parce que nihil odisti eorum qua fecisti » Pour nous donner, Notre-Seigneur a souvent mis la condition de la prière ; et s’il nous a prévenus, c’était souvent aussi qu’il comptait sur la prière qui devait venir ensuite. Notre-Seigneur est la bonté même-; cette forme de la prière contribue à établir les rapports entre Dieu et l’homme, et tout sert à procurer sa gloire.
VOILA donc une notion de la prière en ses trois actes, l’adoration, l’action de grâces et la demande. Les deux premiers sont l’accomplissement d’un devoir ; le troisième est entre nos mains pour aider nos actions. Mais il ne faut pas, comme certains, regarder comme une grande perfection de ne pas demander à Dieu ce que nous désirons. Depuis le XVII siècle, tout est changé ; des dévotes croient faire une grande chose en demeurant dans l’indifférence, et disant à Dieu de faire sa volonté. Sa volonté, il la fera, on peut être tranquille. Mais l’Évangile nous apprend que ce n’est pas ainsi qu’agissaient les malades et les possédés que le Sauveur guérissait. Les gens lui exposaient leurs besoins, et comptaient sur lui.. C’est la demande qui nous vaut le secours. Qu’on réfléchisse, et purs qu’on demande ou qu’on ne demande pas. Mais ce qu’il y a au fond de tout cela le plus sou veut , c’est qu’on ne sait pas trop ce qu’on dit. Ah ! si c’est par un motif surnaturel qu’on agit ainsi, c’est bien. Toujours est-il que Le Nouveau comme l’Ancien Testament nous présentent sans cesse la prière de ceux qui ont compté sur Dieu comme sur un père bon et compatissant ,, qui Font prié avec ardeur , lui disant : » Nos yeux sont tournés vers vous ; vous nous avez dit de nous adresser à vous dans nos besoins, et nous venons. » Ceci est beaucoup mieux. Et on ne rompt pas alors avec le caractère des rapports de l’homme avec Dieu , qui sont ceux du Tout-Puissant avec celui qui a besoin.
Nous n’avons pas le temps d’entamer un autre point aujourd’hui. Nous ne parlons pas de la décence, du recueillement et de la persévérance dans la prière ; cela est de toute évidence. Il est clair qu’il faut avoir le sentiment de sa petitesse, savoir ce que l’on dit, éviter la routine ; mettre le plus de vie et le plus de concours possible à cette relation avec Dieu. Ce sont des choses aisément analysées et connues.
AINSI donc, adoration, actions de grâces et demande ; les deux premières nécessaires à tout moment ; . la troisième est une facilité qui nous est donnée pour étendre nos grâces, nous aider sur la route, nous munir de tout ce qui nous est nécessaire pour arriver au but d’accomplir ce que Dieu demande de nous.