VINGT et UNIÈME CONFÉRENCE.
SOMMAIRE
l’humilité. ne doit pas être pour nous une simple conclusion scientifique, mais un sentiment du cœur Utilité de la considération de nos péchés. — Nécessité d’accepter les humiliations à l’exemple de N.-S. et des Saints. — Conseils pratiques pour la direction des âmes.
Nous continuons l’intéressant sujet de la mortification qui est une des divisions de la vertu de Tempérance. Nous avons parlé d’elle à l’occasion des passions de l’âme, et nous avons signalé l’existence de cet amour de soi-même, qui est l’orgueil, comme ayant besoin d’être surveillé. Nous avons vu le danger que courait la créature de Dieu du côté de l’estime d’elle-même, l’outrage que nous faisions à Dieu par l’orgueil puisque nous n’avons rien que nous n’ayons reçu. En nous appropriant quelque chose, c’est comme si nous l’enlevions à Dieu, bravant ainsi l’être dont nous sommes sortis. Tandis que, au contraire, la vérité nous oblige à reconnaître que nous n’avons rien de nous-mêmes, ni l’être ni les accidents de cet être, et qu’il faut tout rapporter à Dieu.
Maintenant donc le chrétien cheminant est instruit qu’il faut se prémunir contre l’estime de soi , contre cet exercice de propriété qui déplaît à Dieu. Cependant , il y a une estime de soi qui nous pousse du côté de la vision béatifique ; celle-là n’est pas interdite ; car c’est une glorification de Dieu. Mais l’isolement de Dieu pour se contempler soi-même, s’arrêter à soi , voilà le péché et le plus grand des péchés, celui de Satan.
QUE fera donc le chrétien ? Comme nous l’avons vu pour les passions sensuelles, il s’exercera à l’humilité, non-seulement en reconnaissant l’utilité, la convenance de cet acte : ce ne serait pas là une vertu, mais une simple conclusion scientifique et l’on n’arrive pas plus par là qu’on ne parvient à triompher des sens en faisant des théories pour démontrer la supériorité de l’âme sur le corps. Nous avons vu qu’il fallait que le corps fut assujetti même par la force ; de même pour avoir le vrai esprit d’humilité qui tous tienne en sûreté, il ne nous suffit pas de confesser que Dieu est tout -et que nous ne sommes rien, qu’entre lui et nous il y a la différence qui existé dé la cause à l’effet. • Tout cela peut être une simple spéculation et ne garantit pas de ‘l’orgueil. Ce qui nous en garantit, c’est la considération aimée de notre .bassesse présence de Dieu; ce sont des sentiments aussi éloignés que possible dé la complaisance et la victoire sur la tendance qui nous ferait nous estimer nous- Mêmes comme si nous étions quelque chose. Le précepte de l’Écriture est absolu. Si nous ne nous réfugions pas dans l’humilité qui prend sa source dans le mépris de nous-mêmes, nous n’arriverons jamais. De même ,Un homme pourrait être très-éloquent en parlant de la supériorité de l’esprit sur les sens et en pratique être un libertin; de même on peut avoir en théorie la raison de son infériorité et ne pas s’y soumettre. L’humilité consiste donc à ne pas fuir la pensée- de son néant, mais au contraire à s’y réfugier comme dans un asile, et à tout juger à ce point de. vue. Cela est mais, à comprendre, parce que, s’il y a quelque chose de bon en nous, il est évident que cela vient de Dieu. Aussi l’Apôtre dit-il : »Quid gloriaris, quasi non acceperis »?
A côté de ce principe fondamental , que tout ce qu’il y a de bon et de bien en nous, depuis le plus élevé jusqu’au moindre de nos avantages, est une aumône de Dieu, il faut ajouter la considération de l’obstacle que nous avons mis à l’œuvre de Dieu par le péché. De ce malheur toutefois résulte pour nous un avantage, c’est que l’humilité est facile . Si le péché nous a été pardonné nous ne devons pas moins nous exercer à reconnaître notre faiblesse. Le péché nous rend adverse de Dieu et nous fait courir le plus grand des dangers. Nous sommes donc bien mis à notre place en nous humiliant , à moins d’être assez légers pour oublier ce que nous sommes. Mais que l’homme s’en souvienne et il n’aura rien à craindre. Quand nous avons vu l’admirable Marie et les anges, qui n’ont pas péché, s’anéantir dans l’humilité et craindre par cette seule raison qu’ils sont des créatures ; que sera-ce donc de nous, qui avons péché, et qui sommes toujours au moment de tomber, car ce n’est pas en vain que l’Écriture dit ; « Qui existimat se stare, videat ne cadat. »
C’EST par ces pensées que le chrétien se guérira de l’orgueil. Il ne se contentera pas de dire que Dieu est la cause de son être, cela est la base, le fondement ; mais il se souviendra qu’il est capable de mal et qu’il l’a commis. C’est ainsi que « omnia cooperantur in bonum. . etiam ipsa peccata, » dit S. Augustin , parce qu’ils deviennent une source d’humilité. Nous voyons de belles choses dans l’Évangile à ce sujet. A mesure que N.-S. entre dans les âmes, elles marchent davantage vers l’humilité qui garantit et relève tout. L’humilité est nécessaire dans la vie simplement chrétienne pour nous tenir dans cette tempérance qui coupe l’orgueil à sa source et nous fait nous aimer uniquement comme Dieu le veut, c’est-à-dire- cherchant en lui-même notre souverain bien à notre souveraine béatitude, et non pas en nous-mêmes qui ne sommes que néant.
DE cette manière l’humilité renferme à la fois la vérité la justice. La vérité, car il n’y a rien d’estimable en nous que ce qui nous vient de Dieu et nous rend conformes à lui. C’est donc à lui que doit revenir l’honneur. La justice, car dans l’orgueil il y a une injustice puisqu’on s’attribue à soi-même ce qui n’appartient qu’à Dieu.
COMMENT obtiendrons-nous cette humilité ?
APRÈS avoir compris la théorie que nous venons d’établir, c’est de suivre la même marche que pour les sens. Nous avons vu que l’homme ne pouvait se maintenir dans la victoire constante sur les sens sans la mortification, et que ce n’est que par elle qu’il peut arriver à jouir de la tranquillité de ce côté. De même avec toutes les théories possibles nous n’avancerons jamais dans l’humilité, si nous n’y joignons pas l’acceptation des humiliations, si nous ne domptons pas notre orgueil en reconnaissant que c’est pour nous un bien d’être humiliés : bonum mihi quia humiliasti me, ut.discam justificationes tuas. » Nous avons besoin d’apprendre les justifications du Seigneur non-seulement en théorie ; mais en payant de notre personne et reconnaissant que c’est un bien pour nous.
Nous voyons sans cesse dans la vie des saints le grand avantage qu’il y a à ne pas craindre les humiliations même à aller au devant d’elles. Sans doute ce n’est pas une obligation, mais c’est un très-grand secours pour l’âme. De même que pour lutter avec avantage contre les sens, il n’est pas besoin de pratiquer toutes les mortifications des saints, mais seulement celles qui sont en rapport avec les grâces que Dieu nous donne. Également on n’est pas obligé d’aller au devant de toutes les humiliations ; mais l’âme qui les considérerait comme un malheur serait arrêtée dans sa voie. Dans la canonisation des saints, l’Église examine s’ils ont pratiqué les vertus in grade heroico ; mais ce degré là. n’est pas obligatoire pour être chrétien. Autant nous admirons ceux qui pratiquent ainsi les vertus., autant nous voulons dire le vrai et rien de plus, nous gardant de tomber dans lés exagérations de tant de directeurs et de petits livres ,, exagérations dangereuses qui font abandonner les vertus. Donc pas d’excès, n’exigeons pas sous peine de refus d’absolution qu’une personne aille au. devant des humiliations ; mais encourageons les âmes de ce côté et condamnons la fuite continue des humiliations. Cette disposition montrerait que le Christianisme ne serait pas bien établi dans une âme. Si nous avons mérité l’humiliation, en la recevant bien, elle devient alors une partie de notre pénitence et c’est un grand bonheur. Si nous ne l’avons pas méritée cette fois-ci, nous l’avons bien méritée en d’autres circonstances. En outre c’est un secours qui nous est donné contre l’orgueil et qui nous aidera à vaincre dans la suite. Par là, nous acquerrons la ressemblance avec l’homme nouveau N.-S. J.-C. qui a recherché non la gloire, mais l’humiliation. Nous conduirons donc l’âme dans cette voie qui est simplement chrétienne ; sachant que c’est Dieu qui nous visite par l’humiliation, nous la supporterons avec patience et nous ne nous ferons pas de chagrin On jugera ce qui nous arrive non au point de vue des hommes mais à celui de Dieu. Que l’on pense et dise de nous ce que l’on voudra ; que nous importe le jugement de faibles créatures, qui sont aujourd’hui et demain n’existent plus, pourvu que nous soyons de vrais disciples de J.-C. Dans l’Évangile N.-S. nous dit que nous ne pouvons ajouter une coudée à notre taille ; les autres hommes en sont encore moins capables.
Tout cela est d’une rectitude parfaite et nous voyons combien cette théorie chrétienne est belle, grande, joyeuse. Ne craignons pas d’aller â l’encontre du mal , au devant du remède. Par là nous arrivons au point de vue de Dieu ; l’homme est garanti de l’orgueil et trouve la sécurité. Mais il nous faut la persévérance, nous ne sommes pas confirmés en grâce, et nous pouvons toujours être envahis du côté de l’orgueil comme du côté des sens. La mortification incessante nous est donc également nécessaire sous ces deux rapports. D’ailleurs la vie de l’homme n’est pas si longue qu’il ne puisse s’imposer un peu de contrainte pour arriver.
LES choses étant ainsi posées, nous voyons combien la loi de Dieu est juste, sainte, large ; et comment malgré notre nature faible et les suites du péché originel , appuyés sur la grâce, nous pouvons refaire en nous l’œuvre de Dieu.
Nous continuerons encore à parler de la Tempérance. Nous appuyons davantage sur elle que sur les ‘autres vertus cardinales, car il n’en est aucune à nous donner autant de conclusions du côté pratique, à cause de la nature que nous avons reçue, et à cause des. devoirs qui nous sont imposés par l’état de déchéance où nous sommes.