QUINZIEME CONFÉRENCE.
SOMMAIRE.
De la Justice. — Elle est fondée sur la reconnaissance du droit d’autrui , de Dieu , ensuite des hommes, supérieurs, égaux, inférieurs. —
Toute lésion du droit est à réparer ; d’où nécessité de la Pénitence.— Oubli de cette notion de la Pénitence.
Nous sommes entrés, mes Pères, dans la connaissance de ces vertus appelées Cardinales, qui sont tellement nécessaires à l’homme que même au simple point de vue de l’ordre naturel, il devrait les pratiquer pour être homme de bien. Mais nous avons posé en principe que ces vertus avaient été surnaturalisées en nous par la grâce de notre Sauveur et par l’obligation où nous sommes de le prendre pour modèle de toute notre conduite.
Nous avons parlé de la vertu de Prudence. A la suite des philosophes, nous avons vu le besoin que l’homme avait de cette vertu pour maintenir sa ligne bien droite à travers les difficultés qui l’environnent.
MAINTENANT dans quel sentier marchera-t-il pour être dans l’ordre ?
L’Écriture et les philosophes s’accordent à nous répondre : dans le sentier de la Justice. Il faut que l’homme soit juste. Ce mot de justice, vous le savez , est pris en plusieurs sens. Pour le présent , nous disons que la justice est une vertu qui incline l’homme à rendre à. chacun ce qui lui est dû. Elle est fondée sur la reconnaissance du droit d’autrui que nous devons respecter auquel nous devons nous conformer.
DANS l’espèce, pour que la Justice soit appliquée, il faut se préoccuper avant tout du droit de Dieu ; sans cela il n’y a pas de Justice. Voyez de suite l’affreuse erreur de 89 qui commence par fouler aux pieds les droits du Créateur pour parler des droits de l’homme. Et comment y aurait-il: un droit des créatures si celui de Dieu n’est pas reconnu ? Aussi M. de Bonald, ce grand philosophe chrétien de notre siècle, a dit : » La révolution a commencé par ta, proclamation des droits de l’homme ; elle ne finira que par la proclamation des droits de Dieu. » En effet rien ne peut jamais supprimer le droit de Dieu. La vertu de Justice nous porte à rendre à, Dieu service,, hommage, soumission. Si on s’en exempte, il n’y a, pas de raison pour reconnaître des droits au dessous de celui-là.
LA vertu de Justice dans ses rapports avec les droits de Dieu offre une subdivision , la plus noble de toutes , la vertu de religion , et nous sommes aidés dans l’accomplissement de ce devoir par les trois vertus de Foi , d’Espérance et de Charité qui nous relient à l’ordre surnaturel ; de sorte qu’en les pratiquant nous sommes amenés facilement à nous mettre en règle avec la vertu de religion.. Donc le premier exercice de la vertu de Justice est à l’égard de Dieu.
MAIS d’autres que Dieu ont des droits. Ce sont les hommes avec qui nous vivons. Si nous avons la vertu de Justice, nous serons préoccupés de leurs droits, et nous les sauvegarderons. La reconnaissance du droit d’autrui est toujours impérieusement réclamée.
OR par rapport à leurs droits, les hommes se divisent en trois catégories. Il y a nos supérieurs , nos égaux et nos inférieurs. Nous ne sommes justes envers tous ces hommes qu’autant que nous ne violons pas leurs droits..
POUR ceux qui sont au dessus de nous, quels droits ont-ils ? Ils ont le droit d’être obéis lorsqu’ils commandent ; nous leur devons la soumission.. Cela est vrai dans la famille à. l’égard du père et de la mère, vrai dans la société à l’égard du souverain, vrai dans l’Église. En un mot il n’y a pas de société possible si les droits des supérieurs ne sont pas reconnus par les inférieurs. Que fait celui qui. obéit ? Il fait un acte. de Justice car il rend; hommage à un droit ;. se. place dans l’ordre ; et c’est alors qu’on voit comment la. Justice est le moyen par lequel se soutiennent fleurissent les sociétés: comme aussi lorsque le droit des supérieurs n’est pas reconnu, la société croule. C’est ce qui a eu lieu. On a voulu substituer à cette doctrine des idées antichrétiennes et anti-sociales, ne reconnaissant pas le droit dans le chef, qui n’est plus qu’un simple délégué, en sorte que les inférieurs s’obéissent à eux-mêmes en obéissant à leur chef C’est l’extinction du droit dans un homme ; et comme on disait en âge : c’est la société qui s’obéit à elle-même. Dieu est mis de côté, son règne s’efface dans l’homme. Aussi voilà 80 ans que nous nous agitons dans le vide, parce que jamais ces idées à moins d’une inconséquence, ne pourront nous conduire à la paix et à l’ordre. On est obligé alors de chercher un refuge dans les questions d’intérêt, qui, d’abord ne sont plus le droit, et ensuite sont mobiles, variant avec le temps. et les lieux. Enfin, de là résulte la situation sociale où nous nous trouvons. Ainsi la vertu de Justice demande la soumission à quiconque a droit de commander.
MAINTENANT à l’égard des égaux il y a également une forme de justice à garder. Ils ont des droits comme nous en avons. Il ne suffit donc pas de chercher les nôtres, il faut respecter les leurs. Si nous les leur enlevons au profit des nôtres, nous cessons d’être. justes, et par ce côté, encore croulera certainement la société humaine, Ainsi donc : espère des droits d’autrui et vigilance- à ne pas accroître les nôtres à son détriment, la justice let réclame. De là l’obligation pour nous, si nous avions violé la Justice sous ce rapport, de remettre les choses en leur état. Ceci est une nécessité pour l’homme ;autrement nous ne trouverons grâce ni devant Dieu, ni devant les hommes puisque la société réprime les attentats qu’ils commettent les uns vis-à-vis des autres. C’est donc là le développement nécessaire de ce que nous avons à dire sur la Justice. Et quand bien même Dieu ne nous eût pas appelés à des destinées surnaturelles, par le fait seul qu’il nous a mis en société, nous avons ces devoirs à remplir.
MAINTENANT viennent les inférieurs. Ont-ils des droits? Assurément. Toutefois ce ne sont ni ceux des supérieurs, ni ceux des égaux ; mais ils ont le droit de voir se consacrer à leur utilité et leur service ceux qui sont au dessus d’eux. Dieu a voulu cette inégalité pour lier les hommes entre eux. Ceux qui sont en bas doivent reconnaître par leur soumission ceux qui sont au-dessus d’eux, et ceux qui sont placés en haut doivent comprendre qu’ils n’y sont que pour servir les autres. La masse qui est gouvernée a le droit de le rencontrer le dévouement, l’esprit de sacrifice dans ceux qui sont préposés à ses besoins. Cela est également vrai dans la famille Il n’est pas permis de traiter les serviteurs comme des esclaves, de fermer les yeux sur leurs droits. Cela est vrai dans toutes les relations privées, à quelque degré que ce soit. L’âge, la position plus élevée, les connaissances font qu’il y a toujours des inférieurs qui ont droit au dévouement des supérieurs. Cette loi morale s’étend à tous. Tout droit appelle un devoir. De là nous voyons que dans la société chrétienne, Dieu a voulu qu’il y eut des rois à donner les plus magnifiques exemples de la reconnaissance du droit des inférieurs.
S. Louis, par exemple, ne se sentait à sa place qu’en se dévouant d’une manière héroïque pour ses sujets.
VOILA, mes frères, comment il faut entendre le droit ; et comment il enfante cette vertu de Justice qui tient compte de Dieu, qui enseigne à l’homme à ne pas se conduire selon son point de vue particulier, sans se préoccuper des autres. Si tous les hommes agissent ainsi, alors se réalise ce que dit l’Écriture : c’est par la Justice que les nations se tiennent debout. De même qu’elles s’écroulent lorsque cette vertu fait défaut.
DE là, disions nous, l’obligation de réparer les lésions faites au droit. C’ est pourquoi les auteurs chrétiens ont traité cette matière de façon à y introduire le devoir de la réparation par la Pénitence. Autre chose, en effet, est de rendre à Dieu les devoirs et les honneurs que lui sont dès comme souverain Maître, autre chose est la réparation par la Pénitence, qui suppose un outrage et une révolte. La pénitence se rattache à la Justice. Elle pose l’homme dans un état d’amende honorable, de sacrifice, de regret d’avoir blessé Dieu, source de tout droit. Aussi l’offense qui lui est faite est elle plus grave et plus dangereuse que celle qui s’adresse aux créatures dont les droits émanent de Dieu. Voilà pourquoi l’Église dans les prières du Carême insiste sur ces pensées, pourquoi elle réclame des hommes la réparation envers Dieu offensé, nous avertissant qu’il n’y aura de pardon et de salut pour nous que dans cette réparation, si nous ne sommes pas demeurés dans les sentiers de la fidélité : » non remittetur peccatum nisi restituatur ablatum. » C’est pour nous faire sentir cette nécessité que l’Église en ce temps ci a des prières et des cérémonies particulières, qu’elle nous impose des obligations spéciales, nous avertissant par là que nous ne serons en sûreté qu’en remplissant nos devoirs de ce côté. Dieu tient le pardon entre ses mains, mais c’est à la condition que nous reconnaîtrons nos péchés et que nous serons disposés à les réparer.
CE sont là des choses bien difficiles à inculquer aujourd’hui ; sans doute il y a des conversions, mais très-souvent il arrive que dès que l’on a été remis sur pied, que l’on a fait ses Pâques, ( surtout si l’on rencontre un confesseur qui vous mette à la pratique fréquente des sacrements,) immédiatement l’on se croit quitte de ses offenses envers Dieu et on ne revient jamais sur ses péchés pour les pleurer et les réparer. Les choses se comprenaient autrement dans le passé. Voyez tous ces grands Seigneurs qui bâtissaient des Églises, des monastères pro redemptione anime suoe. Ils savaient que la Pénitence doit suivre le pardon , et que ce n’est pas trop de cette vie si courte pour expier les fautes commises envers Dieu. Ils se hâtaient de satisfaire à la justice de Dieu qu’ils avaient violée. De là ces grandes fondations de monastères pour réparer leurs péchés et obtenir des prières pour eux et pour leurs parents.
LA conduite est tout autre aujourd’hui , par un effet de cette déviation générale qu’il faut tant déplorer. Trop souvent l’on se regarde quitte trop tôt ; au saint tribunal les ministres insistent peu sur la réparation ; et cependant elle est de première nécessité vis-à-vis de l’homme, à plus forte raison vis-à-vis de Dieu.
Nous comprendrons donc ce qu’est la Justice, le droit, et que Dieu est la source de tout droit. On pourrait développer cette matière mais il nous suffit d’en avoir donné cette idée. — Nous voyons maintenant à quoi sert la Prudence. Elle nous fait ouvrir les yeux pour ne pas violer le droit des autres. Depuis la majesté de Dieu jusqu’au dernier de nos inférieurs tout vient se placer sous la notion de ces deux vertus. Il faut bien comprendre que celui qui a la Prudence et rend hommage à la Justice en respectant le droit, est déjà sur la voie qui conduit au type que Dieu s’est proposé en nous créant.